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Dans ma tête un rond point

"Tous les jeunes de 20 ans te le disent, soit ils se remplissent la tête et se sont des morts-vivants, soit ils traverseront la mer... Je connais beaucoup de jeunes qui se sont suicidé... Je ne serai ni voleur, ni drogué mais, inch Allah, ça, traverser la mer, je le ferai".

Celui qui parle a 20 ans. "Le monde appartient aux riches, les pauvres n’y peuvent rien", semble lui répondre le vieil oncle Ali qui récite des poèmes tout au long de ce premier long métrage de Hassen Ferhani. Nous sommes aux Abattoirs d’Alger. Le jeune homme qui parle est trop jeune, trop pauvre et côtoie la mort de trop près pour espérer, mais il n’oublie pas d’aimer, ni de rire.

Le jeune réalisateur algérien nous plonge pendant 1h30 dans l’imaginaire de ces hommes qui vivent quasiment en huit-clos dans cette ville dans la ville. Ici, plusieurs dizaines de métiers se côtoient, de l’abattage au traitement des viandes ou de la peau, mais ce film n'est pas un reportage sur un lieu. Le réalisateur prend le parti de poser sa caméra à un endroit, assez proche de ses personnages, pour laisser la scène se dérouler devant nous, sans artifice de montage ni commentaire. Il crée un univers à partir du réel qui s’offre à lui.

Cela donne des scènes extraordinaires comme celle où se croisent des hommes en train de regarder un match de foot et d’autres – finalement aidés par les premiers - qui peinent à tirer une corde au bout de laquelle on devine une bête. L’effort physique des hommes fait écho à celui des footballeurs. Soudain, la tête d’un taureau apparaît. Les hommes ont réussi ! Au même moment, les sportifs marquent un but. Tous crient leur joie puis le taureau disparaît comme par magie... On devine ce qui l’attend, mais le réalisateur montre peu d’images d’abattage. Ce n’est pas le propos.

La présence de l’auteur s’impose doucement à l’écran. Il pose peu de questions. Son travail se démarque très clairement de celui des journalistes que l’on aperçoit le jour de l’Aïd. Amou, 60 ans, confie au réalisateur qu’il regrette que les médias ne viennent pas voir "de l’autre côté" où se trouvent le sang et les journées harassantes... "Ils ne mentent pas, mais la vérité, ils ne tombent pas dessus", constate-t-il simplement. La vérité ne se démontre, ni ne s’approche grâce à des évidences. Ferhani a su prendre les chemins détournés sur lesquels donnait le rond point autour duquel il accompagne ces hommes perdus et attachants.

Catherine Guilyardi

Le film a remporté de nombreux prix :
- FID Marseille, grand prix de la compétition française, Mention Spéciale du Prix du GNCR
- Festival International du Documentaire, Amsterdam - Compétition Première œuvre, prix spécial du jury
- Festival International du cinéma d’Alger, GRAND PRIX
- Entrevues Belfort, prix du public, prix de la critique
 

 

Dans ma tête un rond point
Un film de Hassen Ferhani, Les films de l’Atalante, 2016

Sortie au cinéma 24 février 2016