Champs libres : films

De cendres et de braises

Documentaire de Manon Ott (France, 2018)

Nombre de documentaires que l’on peut voir sur le petit écran sont souvent d’une facture traditionnelle. Autrement dit plus proches du reportage avec une voix off au caractère « orienté » que d’un réel travail de création où l’écriture proprement cinématographique est convoquée. Ainsi en est-il de la deuxième alternative pour De cendres et de braises signé Manon Ott avec la collaboration de Gregory Cohen. L’un et l’autre sont d’ailleurs à la caméra et au son pour nous donner à voir et à « vivre » une cité, en l’occurrence Les Mureaux, dont le destin a longtemps été lié à celui de l’usine de Renault-Flins.

Journaliste Cinéma.

La réalisatrice explique ainsi la genèse du documentaire : « C’est une histoire de rencontres qui remonte à près de dix ans. Depuis longtemps, je partageais avec Grégory Cohen mon compagnon, également cinéaste et chercheur, le projet de mener un travail de recherche approfondie dans des quartiers populaires de la région parisienne pour y fabriquer des films avec leurs habitants, des films qui replaceraient en leur centre la parole et les histoires de ces derniers. »

De fait, le projet a donné vie à un film à la fois abouti et profondément réfléchi. La première partie privilégie la mémoire du travail, incarnée par l’usine Renault-Flins et ces milliers d’ouvriers qui lui ont consacré leur vie, leurs espoirs et leurs désillusions, quand on sait qu’ils étaient 27 000 dans les années 1970 avant de se retrouver aujourd’hui à peine 4 000, pour la plupart abonnés à la précarité avec des contrats d’intérim.

Pendant ses recherches, Manon Ott a réuni de nombreuses archives dont certaines images sont extraites du film de Jean-Pierre Thorn, tourné en 1968 au moment des grèves ouvrières. Oser lutter, oser vaincre, Flins 68 restitue ces jours et ces heures durant lesquelles l’usine a été occupée par des hommes et des femmes déterminés dans leur combat, encore porteurs d’un idéal de liberté inséparable des revendications salariales.

De cendres et de braises s’inscrit dans un travail au long cours sur lequel Manon Ott s’explique longuement, en particulier sur un passage du film qui a changé son rapport au territoire et à ses habitants : « De cendres et de braises fait partie d’une expérience plus vaste en effet : une expérience de recherche et de cinéma [un livre prolongera d’ailleurs ce travail de recherche. Ndlr.], mais aussi une expérience de vie. Dans le cadre de ma recherche, j’ai d’abord enquêté près de trois années aux Mureaux, sans caméra, en m’y rendant chaque semaine pour rassembler des archives sur l’histoire du territoire et pour recueillir des récits de vie. Nous avons fait des rencontres particulièrement fortes avec d’anciens ouvriers de l’usine, des militants venus s’y établir dans les années 1970, des hommes et des femmes venus d’Afrique ou du Maghreb pour travailler et vivre en France dans les années 1970 et 1980, ou encore des jeunes qui grandissent aujourd’hui dans ces cités et s’engagent à leur tour, à leur façon. »

Les témoignages des adultes et des plus jeunes sont frappés du sceau de la pertinence et de la sincérité, suscitant chez le spectateur l’empathie, tandis que la bienveillance et la maîtrise de la cinéaste donnent au film une dimension à la fois politique et poétique. Les plans, souvent tournés la nuit, ajoutent encore une note singulière au film. L’autre élément intéressant réside dans la parole de ces enfants d’ouvriers immigrés, pour une fois articulée à leur vécu et à leur réflexion, loin des clichés et des stéréotypes habituels qui leur sont attachés à longueur de journaux télévisés.

Présenté dans de nombreux festival, le film De cendres et de braises y a reçu chaque fois un accueil favorable, tant il échappe aux a priori sur la classe ouvrière et l’immigration.

Mots clés
documentaire
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