Au musée : repérage

Prélude

Petit jeu de société pour déconfinement très progressif…

60 immigrés ou réfugiés installés en France sont cachés dans ce texte. Trouvez-les !

22 femmes, 38 hommes, première génération uniquement (naissance à l’étranger).

Professeur au Collège de France et président du Conseil d'orientation de l'Etablissement public du Palais de la Porte Dorée

Voyez, dit le maire, il pleut dru sur la Grand-Place : personne sur les dix bancs gorgés d’eau. Ce n’est pas là-bas qu’errent les habitants mais ici, sous ma halle, où fleurent bon les fromages. Dans ce local astiqué, j’accueille notre braderie, vraie caverne d’Ali Baba où s’étale une myriade d’objets d’occase à restaurer : l’inévitable fer à cheval d’écurie, une nichée d’idoles liées à quelque rite chinois, un accordéon d’occase alsacien, un flûteau d’or auvergnat, des capes de spadassin, des phares à dix balles, quelques pièces de soie, comme ce cache-nez d’ermite ou ces ombrelles surannées, des piles d’assiettes pour jongleuse à la syssarcose hyperflexible… Un portrait de la Grande Guerre : « À Paul, l’inhéroïque », signé sans doute d’un sous-off ulcéré, et cette photo dédicacée : Giscard à Megève en visite rhônalpine, et toujours des pamphlets au vitriol, haineux, bons pour la poubelle, mal édités.

Mais aussi des pièces rares, comme ce décret de l’Empereur de Chine ordonnant au taïcoune d’éradiquer la rébellion après avoir déterré au bord du Yang-Tsé l’arsenal que l’homme aux digues y avait niché. Le marché aux puces, en somme, c’est ce dont chacun rêve : hasard et liberté. « Et d’ailleurs, conclut le maire, nous l’ouvrons encore dimanche matin.

- Fort bien, mais que valent ces objets ?

- À chacun d’en décider : tout chiffre affiché se révise et, usant d’un rapide algorithme, nous réévaluons les prix à notre guise. Pingres et avares, tant pis pour vous ! Et si une pièce se déglingue, raboutez-la ! Le monte-en-l’air dresse l’oreille : ça peut chercher loin, tout ça… »

Mais, soudain, un car d’inconnus déboule en fanfare sur le rond-point. Je m’écrie : « Freine, chauffeur ! Si tes pneus crissent, tes valves souffrent ! » L’autocar fait halte, radiateur brûlant, suivi d’un autre. Sans escorte, hasardeux pari, ces Slaves viennent de loin, disent-ils, visiter nos lieux saints. Un railleur s’étonne : « Les Russes en pèlerinage ici ? Et pourquoi pas le hadjj à Vannes ! » Et cet autre : « Faut-il encore que tu gouvernes, œil de Moscou ? » Mais un orchestre est là, qui couvre ces sarcasmes.

Je salue nos visiteurs en évoquant le temps où le tsar, hôte de la France, scella l’Alliance franco-russe. « Bravo pour tous ces kilomètres que vous, les chauffeurs de car, abattîtes chacun ! » Mon éloquence tombe à plat, car ces pieux voyageurs fuient les drames de l’Ukraine : « Quand Odessa prie, Tchernobyl se meurt. »

Une femme apparaît, vive encore, mais la frimousse taquinée par l’âge, un regard que le temps émousse, cou ridé, main tremblante. Mon cœur s’empreint de compassion. Cette fleur vacillante, si l’on m’avait laissé faire, je l’eusse tigée pour l’affermir… Je l’invite au bistrot : la belle crie, effarée. Elle me prend pour un adalide aviné et redoute un épique assaut. « Je suis mariée, lâche-t-elle, et le ménage à trois, y a pas pire, crois-moi ; plutôt me confiner dans un phare estonien. » Je lui promets qu’elle quittera le bar tôt, l’honneur sauf. Si je viole le code, j’ai maille à partir avec la loi.

Elle me conte en désordre son histoire : comment elle se maria, divorça avant de se pacser, naquit sans père, etc. J’aurais voulu l’entraîner au cinéma, mais une fatigue analogue au mal des hauteurs me saisit. L’alcool, sans doute. Ah, les vinasses d’antan ! Arrête ton char, pâquerette, je rentre chez moi.

Agir ou écrire ? Mieux vaut dormir. Les blagues à ricochets, c’est fini pour aujourd’hui.

 

Les réponses à cette énigme sont publiées à la fin du numéro, p. 223.