Champs libres : livres

Saber Mansouri, La France est à refaire. Histoire d’une renaissance qui vient

Paris, Passés composés, 2020, 152 p., 18 €.

Journaliste

Voici un essai aux allures de pamphlets, une réflexion qui, malgré ce titre qui sent son échec, dit les attentes et la fidélité de l’auteur à l’égard de la république – à la France – et à ses capacités à… se refaire. Le diagnostic est imparable ; la posologie plus incertaine, car la dose bien trop forte pour une patiente qu’on subodore réfractaire. Le constat n’est pas neuf, mais Saber Mansouri le fait en styliste, dans une langue élégante et classique, drôle et triste, convoquant Péguy, Constant, Stevenson, Char ou Derrida, et la charge, légère, enthousiaste et enthousiasmante, n’en est pas moins impitoyable, précise, directe et sans faux semblant.

La France est à refaire, depuis qu’elle se refusa, en 1918, à accorder la citoyenneté « aux citoyens de son propre empire » : « On avait tout à gagner en faisant l’économie d’une administration coloniale et postcoloniale coûteuse. Plus besoin de changer et d’imprimer les manuels scolaires à chaque élection pour guérir les maux de nos banlieues. On aurait pu faire advenir l’immense génie politique français. »

La France est à refaire, depuis l’automne 1983, où de vrais marcheurs, estampillés « Beurs » qui croyaient en la fraternité et l’égalité ont été « trahis ». C’est là que la France a perdu ses quartiers, ses « cités », abandonnant une jeunesse aux associations puis aux imams. Les coupables ? Mitterrand, les jeunes pousses socialistes et SOS Racisme qui « décidèrent d’aspirer le mouvement pour mieux le vider et calmer les marcheurs les remettre à l’endroit, dans leur cité. […] Nous allons gouverner ces banlieusards à coup d’associations […] Aspirer complètement ce mouvement pour le faire taire, le ringardiser et balayer, je dirais même piétiner, son éventuelle ambition politique » ! Et l’histoire de France passera du Beur à l’Arabe, du musulman à l’islamiste ; on réislamisera les banlieues avant de déislamiser l’espace public, on attisera même quelques guerre civiles en prétendant que les rejetons du « Beur original » » sont « difficiles à républicaniser ». « Comment a-t-on pu perdre le Beur originel ? » L’auteur connaît la réponse, il attend que la question occupe les matinales et les politiques. Car, au centre de la réflexion de ce spécialiste de la démocratie athénienne, il y a la citoyenneté, son octroi ou non, pour justement « refaire la France », « retrouver une cohésion du corps civique, de la communauté nationale, de ce pays qu’on chérit tant. […] une république qui estime les siens, tous les siens. »

La liste des remèdes est longue mais d’abord un peu de méthode : « le destin d’une nation […], ne peut plus être porté par une conception qui se situerait entre le XIXe siècle et les années cinquante du XXe siècle ». Il faut partir du « génie des siens, tous les siens, c’est-à-dire les vivants, le peuple français actuel ».

La posologie maintenant : déplacer la république en banlieue, repenser les territoires et les cartes électorales, réinventer les mythes et les légendes politiques pour faire « rêver le peuple », « compter nos morts, tous nos morts et de la même manière », laisser l’islam tranquille car « on ne réforme pas une institution qui n’existe pas » et qu’on arrête de servir le plat réchauffé du colon donneur de leçons aux « Français musulmans, qui prient et vont aux urnes [et] n’ont pas besoin d’une institution papale pour vivre leur foi ». Sur le fond : l’appartenance à une communauté civique se fonde sur la citoyenneté, non sur une religion ou une… association. Exit génuflexions et patronage, retour au « comment et pourquoi gouverner » cher à Aristote ! Il en appelle à enseigner l’arabe, l’histoire des relations entre la France et le monde dit arabe, plus largement à « transmettre […] les langues et les histoire françaises (nationales, méditerranéennes, africaines et moyen-orientales, défendre ce qui nous unit : la république. »

« Refaire la France » se fera sans « culpabiliser » :« pas de coupable, donc, mais une renaissance à venir, un esprit qui fera revenir beaucoup de nos concitoyens aux urnes ».