Archives

Indispensables documentaires

La Cafda, une plate-forme d’accueil d’urgence en région parisienne pour les familles demandeuses d’asile. Quelques-unes des "misères du monde" défilent devant des fonctionnaires chargés de leur venir en aide dans les limites du possible. Une école primaire aujourd’hui à Ghassira, village des Aurès où s’était déroulé le premier attentat de la révolution en novembre 54. Le présent confronté à la mémoire des anciens et au futur des enfants. Deux sujets graves et actuels, traités avec légèreté. La dédramatisation inscrivant gens, faits et gestes dans les limites et les paradoxes du quotidien.

Les arrivants, film documentaire français de Claudine Bories et Patrice Chagnard
Dans un local au dispositif spartiate, chaque jour, aux heures ouvrables, et souvent au-delà, des familles ou de ce qu’il en reste, viennent exposer leur situation, remplir un dossier signalétique, faire le récit de leurs parcours et de leurs persécutions, pour tenter d’obtenir un statut, fût-il provisoire et précaire. Ils réclament un permis de séjour , un titre de transport, des tickets-repas, un foyer, un hôtel, un regroupement familial… Parfois le flot débordant des détresses résignées se fait explosif. Ils viennent de Mongolie, du Sri Lanka, d’Erythrée, de nulle part... tellement investis dans les désordres géopolitiques endurés et traversés, qu’ils ont du mal à se situer. Ces voyageurs sans bagages ont en plus des problèmes de langage. Malgré le recours à un français mimique, un anglais basique, un arabe coranique, ils ont du mal à s’exprimer. En face, de l’autre côté du comptoir ou du guichet se trouvent Caroline, Colette, Juliette et leurs collègues, fonctionnaires du pouvoir, du savoir, du devoir et aussi de la patience infinie, de l’irritabilité jusqu’au pétage de plomb. Elles ne sont pas davantage polyglottes. Entrent alors en scène les traducteurs, médiateurs des médiatrices, nécessaires traits d’union entre les arrivants et les accueillantes. Au bout du fil ou de vive voix, ils viennent s’intercaler pour dissiper les malentendus ou les imbroglios linguistiques. Ils évitent des drames supplémentaires en apportant parfois un air de comédie. Comment savoir sans eux si les énigmatiques M. et Madame Wong sont Chinois ou Mongol ? Comment le jeune interprète Maghrébin, victime en son temps de réflexions désobligeantes, est le mieux placé pour signaler à Caroline l’humiliation involontaire de ses propos sur le tourisme ?
Quelques exemples suffisent à montrer toute la complexité des situations et leurs incidences dramatiques. Il n’y a pas besoin de discours accusateurs, revendicatifs ou même dogmatiques. La vérité des rapports humains peut même engendrer la tendresse et le sourire. Mulugheta, le jeune Éthiopien en colère, trouvera, dans un sourire de miel, que la revêche Colette ressemble à sa mère.
Au bout du film, c’est avec bonheur et pertinence que les discussions sont ouvertes. Un peu de douceur dans un monde brutal.

La Chine est encore loin, film documentaire algérien de Malek Bensmaïl.
Le titre "coranique" est, avec une pointe d’ironie, une référence au savoir. C’est avec la mémoire le support principal du film.
Les pays au présent maussade ont souvent le culte des commémorations.

affiche du film La chine est encore loinAinsi le village de Ghassira, au cœur des Aurès, aujourd’hui assez délabré avec ses carcasses de voiture à l’abandon, ses immeubles vétustes, son hôtel retourné à l’état de ruine troglodyte. Sa population désœuvrée à tout âge, s’apprête à fêter l’anniversaire de l’insurrection de novembre 54. Dans l’un des derniers virages de la route en lacets avant l’agglomération, un car était tombé dans une embuscade tendue par les maquisards du FLN. L’attentat avait fait plusieurs victimes dont un caïd local et un couple d’instituteurs, les Monnerot. Bien que résultant d’une probable bavure, l’incident eut, de part et d’autre, un durable retentissement. Soixante ans après, il est bon de ranimer les mémoires avec quelques hymnes patriotiques et une profusion de drapeaux devant un parterre de notables médaillés, galonnés, cravatés, quelques vieillards perplexes et les enfants des écoles, commis d’office.
Passé ce moment faussement solennel, traité comme un reportage, la caméra affectueuse et goguenarde du réalisateur s’attache au personnage de Messaoud, dit l’émigré. Une sorte de barde nostalgique, de tribun revendicatif, déplorant l’état d’abandon des lieux, la conduite démissionnaire et ignare des habitants, leur fuite en arrière (ou à côté, y compris sur les terres maudites de l’ancien colonisateur).
Messaoud devient le support idéal pour introduire le sujet essentiel de ce film débordant : l’école et les écoliers. L’avenir qu'on leur prépare, leur degré de résistance, leur faculté de transgression, leur capacité à s’adapter ne serait-ce que pour éviter les réprimandes, les taloches, les coups de chicote à l’ancienne.Se développe alors un savoureux Être et avoir à l’algérienne qui devrait faire date dans les péripéties pédagogiques de ce pays : de l’art de fabriquer en souriant et avec des enseignants émérites "des analphabètes trilingues", selon le mot de l’humoriste Fellag.
L’apothéose d’une année scolaire ardue sera pour ces petits terriens : un voyage à la mer, comme dans les manuels de l’ancien temps. À peine devant les vagues, les garçons en caleçons pourront folâtrer autour de l’épave d’un navire échoué (comme la métaphore de tant de rêves). Les filles n’ont pas même droit aux illusions, encapuchonnées de châles et de fichus, elles tournent le dos au large et confectionnent, accroupies, des simulacres de gâteaux de sable.
Le cœur serré on mesure la distance qui les sépare de la Chine. Sauf qu’une audacieuse a retroussé son haïk pour courageusement affronter les flots.
On est fier pour elle comme on l’a été quand la femme de ménage que l’on croyait résignée ou muette , a posé son balai et sa serpillère pour dénoncer des années d’asservissement féminin.
L’Algérie officielle n’a pas trop apprécié ce film. Après avoir contribué au financement de sa réalisation, elle s’est opposé à sa diffusion. Dommage, c’est tout simplement un film beau et courageux.

- Les arrivants, film français de Claudine Bories et Patrice Chagnard, 1h53.
- La Chine est encore loin, film algérien de Malek Bensmaïl, 2h10.