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À l’Est du nouveau

Morgen, Le choix de Luna et Slovenian Girl. Trois sorties cinéma de films venus d’Europe de l’Est, trois bonnes surprises…

Morgen
Film roumano-hongrois de Marian Crisan

Dans l’embonpoint d’une quarantaine sans éclat, Nelu (Andras Hathazi) est un brave type qui ne se casse pas la tête. Son poste de vigile dans le supermarché aux abords de la ville de Salonta, limitrophe entre Roumanie et Hongrie, est presque une sinécure. Il lui assure un minimum vital dont il se satisfait. Il a tout loisir pour se livrer à son passe-temps favori : la pêche à la ligne en eau vive dont il est un expert doté d’un matériel onéreux et sophistiqué, malgré l’absurdité du règlement qui l’oblige, pour un oui ou pour un non, à rejeter ses plus belles pièces à la rivière. Réduite aux tracasseries domestiques, sa femme Florica (Elvira Rimbu) apprécie moins leur niveau de vie élémentaire, dans une maison loin de tout. Bien sûr, il y a la télévision qui charrie nuit et jour des images et des paroles d’un autre monde, mais l’eau n’est pas courante sauf à travers la toiture qui fuit. Morgen(demain) promet infatigablement Nélu, en invoquant des réparations indispensables, à la tuile industrielle…
C’est pourtant au cours d’une de ces parties de pêche que Nélu va ferrer un poisson imprévu.
Un Turc hirsute qui sort des roseaux, trempé comme un canard et répète mécaniquement "Allemagna". Locution insuffisante pour tenir une conversation, même au pays de Ionesco. Bohran (Yilmaz Yalcin) va se révéler pourtant comme un homme obstiné et serviable, sans renoncer à son projet de "passer" en Europe de l’Ouest, il est prêt à rendre service, à éplucher les pommes de terre, à réparer la toiture, à faire des ballades en side-car avec Nélu, à lui confier ses devises comme à un vulgaire passeur, à devenir son ami….Au point qu’on se demande bientôt "comment s’en débarrasser ?"
C’est ainsi que ce tandem goguenard nous expose les conditions du vivre ensemble, en dépit des règlements, des patrouilles, des contrôles et réfute la plus part des discours en vigueur sur l’immigration, l’intégration, le rejet ou l’acceptation de l’autre, réduits avec jubilation à des billevesées.
On retrouve chez ce nouveau venu le ton de vérité douce-amère, d’humour ravageur à combustion lente que l’on a tant aimés chez Cristi Puiu (La mort de Dante Lazarescu) ou Corneliu Paramboiu (10:08 à l’est de Bucarest). Que vive le cinéma roumain !

Le choix de Luna
Film bosniaque de Jasmila Zbanic

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Affiche du film Le coix de Luna
Aujourd’hui à Sarajevo. Luna (Zrinka Cvitesic) et Amar (Leon Lucev) s’aiment d’un amour intense et fiévreux. Leur présent reste plombé par le passé. Certes Luna est une fille instinctive qui semble s’accomplir pleinement dans son métier attrayant d’hôtesse de l’air. Mais Amar, plus traumatisé par la guerre (les mois passés à l’armée, la mort d’un frère) peine à refaire surface ou à trouver un dérivatif à sa malvie. Il a sombré dans l’alcoolisme ce qui lui a fait perdre un boulot d’ailleurs sans intérêt. En pleine déprime nihiliste, il vient de plaquer sa cure de désintoxication.
Pourra-t-il être sauvé par l’amour de Luna et la perspective de faire un enfant ?
C’est là qu’il rencontre Bahrija (Ermin Bravo). Un camarade de classe perdu de vue, sympathique et barbu. Luna aurait dû se méfier des attitudes de l‘homme, chaleureux mais refusant de lui serrer la main, laissant sa femme voilée, à l’écart dans la voiture, néanmoins empressé à rendre service et proposant spontanément à Amar un travail valorisant et lointain. Elle a bien sûr entendu parler des mouvements salafistes et de leurs méthodes prosélytes mais Amar a tellement besoin d’appui pour l’aider à se reconstruire !
Restée sans nouvelles de son amant et rongée d’inquiétude, Luna se lance à sa recherche. Elle aboutit à une sorte de camp retranché où les adeptes vivent reclus comme au sein d’une secte et apparemment épanouis.
Amar, lui a beaucoup changé.
Loin de tout déterminisme dogmatique, Jasmina Zbanic (Sarajevo mon amour - 2006) a filmé, au plus prés et au plus juste, les dissonances d’une société travaillée de forces antagonistes, indulgente face à une jeunesse déboussolée entre l’attraction occidentale et la recherche de "valeurs" plus rigoristes dans le fondementalisme islamique.
Luna ne part pas en guerre contre l’intégrisme, à travers le beau visage de Zrinka Cvitesic, elle nous fait partager les doutes, les troubles et finalement les résolutions qui sauveront son amour.

Slovenian girl
Film slovène de Damjan Kazole

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Affiche du film Slovenian girl
Films et téléfilms ont outrageusement démonté la mécanique de la prostitution balkanique, vue de l’Ouest. Belles blondes naturelles ou oxygénées, bernées, violentées, abusées, arrachées à leurs proches avec des contrats de danseuses, serveuses, entraîneuses, sans recours contre la rapacité et la violence de souteneurs crapuleux. Il est curieux de découvrir l’envers du décor avec l’œil sans complaisance du jeune réalisateur slovène Damjan Kozole.
Le film se déroule Ljubiana, capitale de la Slovénie, état confetti résultant du morcellement de l’ex-Yougoslavie. Le pays compte environ 2 millions d’habitants sur une superficie de 20 000 km2. Il adhère à l’Union Européenne en 2002 et deviendra le premier pays de l’ancien bloc communiste à en obtenir la présidence en 2007. C’est un miracle qu’un aussi petit pays arrive à maintenir une production de 4 à 5 films par an qui font, en plus, le choix de témoigner sur l’époque.
Comme beaucoup d’étudiantes de milieu modeste, Aleksandra (Nina Ivasnisin) arrondit ses fins de mois en se livrant à la prostitution. Ne comptant que sur elle-même et sa force de caractère, elle croit pouvoir triompher de tous les périls qui la cernent. Mais ses clients recrutés sur internet ne présentent guère de garantie. Les créanciers la harcèlent. Les proxénètes tenus à distance sont prêts à foncer sur leur proie. Seul son père, un vieux rocker très babacool qui fait de la musique à tout berzingue avec un groupe de potes aussi déjantes et dégarnis que lui, lui apporte du réconfort.
Un film noir, filmé avec des moyens modestes et des comédiens inconnus, étonnants de naturel.

[André Videau]

Morgen
Date de sortie cinéma : 2 février 2011
Réalisé par Marian Crisan
Avec Andras Hathazi, Yılmaz Yalçın, Elvira Rimbu
Long-métrage français, hongrois, roumain
Genre : Drame
Durée : 1h40
Année de production : 2010
Distributeur : Les Films du Losange

Le choix de Luna
Date de sortie cinéma : 9 février 2011
Réalisé par Jasmila Zbanic
Avec Zrinka Cvitesic, Leon Lucev, Ermin Bravo
Titre original : Na Putu
Long-métrage autrichien, bosniaque, croate, allemand
Genre : Drame
Durée : 1h40
Année de production : 2009
Distributeur : Diaphana Distribution

Slovenian girl
Date de sortie cinéma : 2 février 2011
Réalisé par Damjan Kozole
Avec Nina Ivanisin, Peter Musevski, Primoz Pirnat
Titre original : Slovenka
Long-métrage serbe, croate, allemand, slovène
Genre : Drame
Durée : 1h27
Année de production : 2009
Distributeur : Epicentre Films