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La rentrée littéraire et la troisième édition du Prix littéraire de la Porte Dorée

Le 26 mai dernier, à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Michaël Ferrier recevait le prix littéraire de la Porte Dorée pour Sympathie pour le fantôme. C’est désormais la troisième édition de ce prix qui se prépare pour le comité de lecture chargé de la sélection des ouvrages en compétition. Voici les premières impressions de la responsable du prix sur ce que réserve la rentrée littéraire de septembre.

Dans la profusion éditoriale de septembre, nous avons déjà repéré quelques titres et remarqué une tendance dominante : la quête des origines, qu'elle soit centrée sur la figure paternelle ou maternelle. Certes, il n’est pas nécessaire d’avoir des parents venus d’ailleurs pour écrire sur ce thème, mais les écrivains susceptibles de faire partie de notre sélection ont l’avantage de nous faire voyager.

Dans Un sujet français (Albin Michel), Ali Magoudi, analyste et écrivain, respecte le souhait de son père : "Ma vie est un véritable roman. Quand tu seras grand, je te la raconterai et tu l’écriras." Mais comment écrire, trente ans après sa mort, alors qu’il n’a presque rien raconté à son fils ? Pourquoi ce père, né en 1903 à Tiaret, a-t-il quitté l’Algérie ? Et que faisait-il en Pologne en 1942, quand il a rencontré sa mère, jeune Polonaise catholique de Varsovie? Les archives familiales se limitant au contenu bien maigre d'une boîte à chaussures, Ali Magoudi se lance dans une enquête quasi policière, mais totalement obsessionnelle, dans laquelle il entraîne son lecteur, lui faisant partager ses égarements et ses craintes, la découverte des mains courantes concernant son père comme ses propres voyages en Pologne et en Algérie à la recherche de témoins. Une enquête inscrite dans l'Histoire, celle de la Deuxième Guerre et de l'époque où les Algériens étaient des "sujets français de droit local".

Sur un tout autre ton, le Yazid de Boualem Sansal enchaîne aussi les découvertes sur sa famille dans Rue Darwin (Gallimard). Quand sa mère meurt dans un hôpital parisien, entouré de tous ses enfants (sauf un, qui a viré islamiste) accourus des quatre coins du monde, Yazid, le fils aîné, entend comme une voix venue de l'au-delà qui lui souffle : "Va, retourne à la rue Darwin." C'est-à-dire la rue de son enfance, dans le quartier de Belcourt à Alger. Dans une sorte de "fantastique familial", Yazid, le "dernier vivant de l'antique tribu", retrouve le royaume où il est né, et dont sa grand-mère, la fabuleuse Lalla Sadia, était la reine du temps de la société coloniale. Mais c'est à Alger qu'il a vécu la guerre et l'indépendance, le pouvoir des généraux et des religieux. Un récit au style tour à tour lyrique et rageur, un conte des temps modernes.

La quête d'identité du héros du Caire à corps perdu de Khaled Osman (Vents d'ailleurs) est encore plus radicale mais tient aussi du conte, puisque, débarquant dans la capitale égyptienne après de longues années passées en Europe, le narrateur est soudain frappé d'amnésie. La patronne et les hôtes de la pension populaire où il trouve refuge vont l'aider dans son enquête sur lui-même, au sein du joyeux chaos de la métropole et malgré la paranoïa du pouvoir de Moubarak. Parce que cet amnésique ne se souvient que des films, des poèmes et des romans qu'il a aimés, ce roman illustre l'adage : "La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié".

Plus sombre, très dense et superbement écrit, L'Ampleur du saccage de Katouar Harchi (Actes Sud) se présente comme un quatuor : quatre hommes diversement liés, et entravés par des secrets ou des promesses, vont faire le voyage de la France vers l'Algérie. Mais ce sont deux femmes, deux mères, qui motivent ce retour aux origines. Ce qui mine, domine, dans ce roman, c'est la frustration sexuelle et la violence faite aux femmes. Des thèmes que l'on retrouve dans l'Iran de Khomeiny tel que le décrit Chahdortt Djavann dans Je ne suis pas celle que je suis. Un texte, prenant, étonnant, où alternent séances de psychanalyse hantées par un père aussi fou que fascinant et récit des démêlés amoureux d'une jeune Iranienne au pays des mollahs. De belles réflexions aussi sur la difficulté d'être soi quand on s'exprime dans une langue étrangère.

Les personnages de Ces âmes chagrines (Plon), le dernier roman de Léonora Miano, ne vont pas chez le psychanalyste pour retrouver l'estime de soi, mais Antoine et Maxime doivent faire la paix avec leur mère tombée dans la mendicité et assumer leur métissage en renouant avec leur pays d'origine, le Mboasu, une contrée imaginaire qui présente beaucoup de points communs avec le Cameroun natal de Léonora Miano.

Khadi Hane nous présente au contraire un Mali bien réel et bien pesant dans Des fourmis plein la bouche (Denoël), un roman où Khadidja, mère démunie qui élève cinq enfants dans le quartier de Château-Rouge à Paris, doit se défendre sur tous les fronts : la communauté malienne lui reproche ses amours avec un Blanc et l'assistante sociale française la menace de lui retirer la garde de ses enfants. Ce livre révèle les difficultés inextricables dans lesquelles se débattent nombre de femmes immigrées, en mettant en cause tant l'Afrique que l'Europe.

Il faut sans doute venir d'ailleurs – Khadi Hane est sénégalaise – pour se permettre cette liberté de ton que l'on retrouve dans Assommons les pauvres ! de Sumana Sinha (L’Olivier). Dans ce texte plein de colère sont présents tous les mensonges et les rêves avortés de l'expérience migratoire. Un jour, la narratrice d'origine indienne, comme l'auteure, se fait arrêter pour avoir fracassé une bouteille de vin sur la tête d'un immigré. Au commissariat, elle doit expliquer son geste : elle gagne sa vie comme interprète auprès des demandeurs d'asile, un travail insoutenable propice au sautage de plombs quand on sait que pour obtenir l'asile politique, les migrants doivent raconter une tout autre histoire que la leur, et qu'ils l'achètent souvent au passeur en même temps que leur aller simple. Alors, ils s'embrouillent, se contredisent et, selon l'humeur, malgré leur détresse, provoquent fous rires ou exaspération.

Jonas Woldemariam, jeune homme d'origine éthiopienne vivant à New York, travaille aussi temporairement avec les migrants dans le deuxième roman de Dinaw Mengestu, Ce qu'on peut lire dans l'air (Albin Michel). Il réécrit leurs récits de vie, les dramatise à souhait pour qu’ils correspondent aux critères d’accueil aux États-Unis, tout en essayant de revenir sur les pas de ses parents arrivés en Amérique au début des années 80. Dommage que ce roman subtil au "lyrisme mélancolique" ne puisse entrer dans notre sélection : il est traduit, très bien, de l’anglais, mais malheureusement, cette année encore, nous ne retenons que les œuvres écrites en français…

Elisabeth Lesne, responsable du prix littéraire de la Porte Dorée