La sélection 2013 du Prix littéraire de la Porte Dorée

Après Alice Zéniter (Jusque dans nos bras), Michaël Ferrier (Sympathie pour le fantôme) et Henri Lopes (Une enfant de Poto-Poto), qui sera le prochain lauréat du prix littéraire de la Porte Dorée ? Son nom sera connu le 4 juin, date de la cérémonie de remise de notre prix. Le comité de sélection a retenu huit titres. Pas simple de trouver un consensus sans trop de frustrations lorsque chacun a envie de défendre ses coups de cœur. Au jury maintenant d’élire le ou la lauréat(e) dans cette sélection 2013, qui illustre la qualité et la grande diversité des œuvres évoquant l’exil, l'immigration.

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Mélo, Frédéric Ciriez, Verticales
Mélo, Frédéric Ciriez, Verticales

Dans un triptype aux volets soigneusement nommés, trois histoires parallèles finissent par résonner ensemble en passant par "la rue du Faubourg-Saint-Denis, la
rue du monde entier", la veille du 1er mai 2013. "Transfixion" : un syndicaliste breton émigré à Paris se suicide d'un coup de couteau dans le cœur. "Transformation" : un conducteur de camion-poubelle né à Brazzaville se métamorphose en Parfait de Paris, "Congolais d'apparat" ayant "choisi d'offrir (son) âme à la Sape". "Transaction" : une jeune Chinoise se lance dans sa tournée de marchande ambulante, "une oasis d'objets véhiculés sur le ventre". Alors que "la vie végétale hurle son panthéisme sexuel", leur errance s’avère fatale ou dérisoire : le "Mishima de banlieue" dérive dans sa Xantia "comme un noyé dans la ville", Parfait passe de son camion-poubelle à la Rolls Royce et à "la magnificence du code couleur éboueur", et Barbara, c'est "un frais désir de motricité" qui circule en elle et la propulse en rollers à travers la capitale. Frédéric Ciriez capte les pulsations de la ville et de ce trio dans une langue virevoltante, luxuriante, alors que "le thème du livre, dit-il, c'est le déchet".
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La Vie sans fards, Maryse Condé, JC Lattès
La Vie sans fards, Maryse Condé, JC Lattès

Dans ce récit autobiographique, la Guadeloupéenne évacue en quelques lignes "l'approche à pas sournois de la vieillesse puis de la maladie». Son désir est de revivre ses jeunes années sur le continent africain pour "cerner la place considérable qu'a occupée l'Afrique dans (son) existence et dans (son) imaginaire". De Paris, elle part en 1959 enseigner en Côte d'Ivoire. Elle va ensuite en Guinée, au Ghana, en Angleterre et au Sénégal, découvrant la littérature africaine francophone et anglophone, ainsi que tout ce qui sépare les Antillais, les Africains et les Noirs américains : "Plus j'allais, plus je constatais que la Négritude n'était qu'un beau rêve. La couleur ne signifie rien." Souvent insatisfaite des postes qu'elle occupe, se sentant parfois rejetée, Maryse Condé est un témoin perspicace des régimes chaotiques et des dictateurs postindépendance, même si elle se dit peu intéressée par la politique. Le texte s’arrête quand, mère de quatre enfants qu'elle élève seule – dans les années 60 ! - , elle devient écrivain : "L'Afrique enfin domptée (...) ne serait plus que la matière de nombreuses fictions." Quel parcours, quelle leçon d'énergie!

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Rue des Voleurs, Mathias Enard, Actes Sud
Rue des Voleurs, Mathias Enard, Actes Sud

Mathias Enard ne craint pas d’aborder les points politiques névralgiques de notre époque, des révolutions arabes à la crise économique en Europe. Lakhdar, Marocain de Tanger, a 17 ans quand il est mis à la porte de chez lui pour avoir approché de trop près sa cousine. Commence alors pour lui une vie d’errance jusqu’à ce qu’il soit embauché comme libraire par le Groupe pour la diffusion de la pensée islamique. Il ne devient pas islamiste pour autant, il aime trop lire des polars et la littérature arabe, boire des bières et regarder les filles. Quelques petits boulots plus tard, Lakhdar se retrouve à Barcelone au moment des manifestations des indignés et constate : "l’Espagne était un pays africain comme les autres". A la fin du roman, ce jeune Tangerois dira encore – il a alors 20 ans : "Je suis ce que j’ai lu, ce que j’ai vu, j’ai en moi autant d’arabe que d’espagnol et de français." L’énergie de la jeunesse irrigue ce roman plein de fièvre et d’aventures, mais à cette jeunesse on a tout confisqué, même ses rêves de liberté.
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Arithmétique des dieux, Katrina Kalda, Gallimard
Arithmétique des dieux, Katrina Kalda, Gallimard

Kadri Raud, la narratrice, est assaillie de cauchemars. "Sans mari, ni amant, ni enfant", elle "entre, tout en le sachant, et sans (s’)y opposer, dans le temps ralenti de la dépression", sous le ciel parisien toujours "gris et plein d’ennui". Emigrée à Paris seule avec sa mère à l’âge de 10 ans à l’été 89, comme l’auteure, elle retourne à Tallinn tous les étés à partir de 1992. Mais ce n’est qu’en 2010, six mois après la mort de sa grand-mère Eda, qu’elle se laisse envahir par les souvenirs de son enfance dans l’appartement communautaire où vivait sa famille et par les anecdotes racontées lors de ses différents séjours par des amis ou des proches. Vient alors pour elle le moment d’appréhender l’origine de ses idées morbides : "En même temps que les souvenirs, un doute m’envahissait. Je ne savais rien de l’enfance de mon père." Les lettres de Liisi, envoyées de 45 à 47 de Sibérie occidentale à sa grand-mère, viennent ponctuer cette périlleuse exploration des "zones hadopélagiques de la mémoire". Les drames familiaux renvoient à la Seconde Guerre, quand Russes et Allemands s’arrachèrent tour à tour ce petit pays. Mais ce récit dense à l’écriture classique permet aussi de découvrir l’Estonie juste après son indépendance, et à Kadra Rraud de mieux saisir ce qui constitue son identité.
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Les Désorientés, Amin Maalouf, Grasset
Les Désorientés, Amin Maalouf, Grasset

Il a fallu que Mourad, un ami de jeunesse, l’appelle à son chevet pour qu’Adam, le personnage principal, se décide à revenir en 2001 dans son pays natal. Même s’il n’est jamais nommé, on reconnaît le Liban qu’Amin Maalouf a quitté lui aussi en 76, en plein conflit. Après quelque vingt-cinq ans d’absence, Adam ne retrouve pas le pays qu’il a connu et encore moins celui dont il avait rêvé avec ses copains, le "cercle des Byzantins", des jeunes gens nombreux à avoir choisi aussi l’exil. Partir pour ne pas trahir son idéal ou rester pour ne pas abandonner son pays ? La question est posée, centrale. Si Adam arrive trop tard pour se réconcilier avec Mourad, l’ "ami désadopté", lui vient l'idée de réunir tous les membres de la bande : Naïm, le juif émigré au Brésil ; Ramez, l’Arabe musulman entrepreneur prospère installé en Jordanie ; Ramsy, son ex-associé qui s’est retiré dans un monastère ; Nidal, devenu islamiste… Les amis racontent leur histoire, les voix s'entrelacent, récit du narrateur, journal d'Adam, échanges de mails... Autant de destins qui permettent à Amin Maalouf de tenter de comprendre “la gigantesque, la retentissante débâcle historique de la civilisation qui est la nôtre” et d’écrire un roman aux analyses lumineuses, entre autres, sur les "deux tragédies rivales", celle des juifs et celle des Palestiniens, et sur ce qui pourrait être les "deux calamités majeures" du XXe siècle : "l’islamisme radical et l’anti-islamisme radical".
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Lumières de Pointe-Noire, Alain Mabanckou, Seuil
Lumières de Pointe-Noire, Alain Mabanckou, Seuil

Invité en juin 2012 par l'Institut culturel français, Alain Mabanckou revient dans sa ville natale, Pointe-Noire, port du Congo-Brazzaville, après plus de vingt-trois ans d'absence. De retour dans son “royaume d'enfance”, l'écrivain semble se faire tout petit pour aller comme au hasard à la rencontre des lieux et des êtres, mesurant sans cesse l'écart entre le réel et l'univers mythique dont il a gardé la mémoire. En chemin, il délaisse sa flamboyance et son exubérance habituelles, son goût pour les situations cocasses (cf. Tais-toi et meurs, sept. 2012, un polar réjouissant sur le "milieu congolais" à Paris). Comment pourrait-il en être autrement alors qu'il commence ce journal de voyage par ces mots: “J'ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie”? Maman Pauline illumine ces pages et plusieurs des photos de ce livre de sa sereine présence. Elle accompagne son fils comme son ombre tout au long de son séjour, où affleurent souvent légendes et surnaturel. Plus prosaïques mais très touchantes, les retrouvailles avec la parentèle, la visite à son ancien lycée et au cinéma Rex devenu une église pentecôtiste, les paroles échangées avec une prostituée ou un type qui lui explique les raisons de la dernière guerre civile... Et la question sans réponse de la dernière ligne : “Quand reviendrai-je encore à Pointe-Noire?”

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Le Meilleur des jours, Yassaman Montazami, Sabine Wespieser
Le Meilleur des jours, Yassaman Montazami, Sabine Wespieser

C'est son père disparu que Yassaman Montazami célèbre dans ce premier roman. Behrouz ne faisait pas partie des Iraniens qui avaient dû fuir après la Révolution islamique de 1979. Il était venu à Paris dès la fin des années 60 cultiver à la Sorbonne sa passion pour Karl Marx. Drôle - "la vie avec lui semblait un éternel 1er avril" - , généreux et hospitalier, cet "éternel thésard" entraîne ses proches dans un tourbillon de fantaisie. Yassaman Montazami nous fait partager la tendresse qu'elle éprouve pour cet homme dont l'humour et la fuite dans les études dissimulent l'incapacité d'agir. Au fil des pages s'anime aussi, entre Téhéran et Paris, toute une cohorte de personnages dont les histoires dévoilent la nature du régime des ayatollahs. Une question aux résonances actuelles hante ces pages : que reste-t-il des espoirs que portaient les Iraniens en aspirant dans les années 70 à l’avènement d’une démocratie laïque en Iran ?
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Le Hareng et le Saxophone, Sylvie Weil, Buchet-Chastel
Le Hareng et le Saxophone, Sylvie Weil, Buchet-Chastel

En 1980, Sylvie Weil part avec son fils passer l'été aux Etats-Unis. Mais elle n'en revient pas : elle rencontre le "vrai amour", se marie très vite et s'installe dans le Bronx, un quartier où on la presse de raconter son histoire de "réfugiée", "qui dit Jewish dit réfugié, tout le monde le sait", clament en chœur ses vieilles voisines. Mais ce n’est pas à l’histoire de sa famille que l’écrivain s’intéresse dans ce roman, ça, c’est déjà fait (Chez les Weil, 2009). Cette fois, Sylvie Weil explore la généalogie de son mari Eric Weitzner, un psychiatre juif que la question des origines laisse de marbre. "Les Shackman viennent d’Ouman, c’est tout ce que je sais", répète-t-il. En bonne Européenne, "refusant de croire que le passé n’existe pas", Sylvie Weil part à la chasse aux souvenirs pour reconstituer l’histoire de la branche maternelle, les fameux Shackman. Cela donne un roman plein d’humour divisé en cours chapitres qui nous baladent d’Ukraine à Brooklyn, "la Jérusalem de l’Amérique", de 1810 à nos jours. Une saga familiale placée sous le signe du saxophone, la passion refoulée du père d’Eric, et du hareng, source de la prospérité de cette vaste famille.
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Élisabeth Lesne, responsable du prix littéraire de la Porte Dorée