La sélection 2014 du Prix littéraire de la Porte Dorée

Après la lecture d’une quarantaine de romans sur la thématique de l'exil, l'immigration, le comité de sélection a retenu huit titres pour ce cinquième prix littéraire de la Porte Dorée.

Un pays qui n’avait pas de port, Isabelle Condou, Plon

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Un cargo français fait route vers le Pacifique. Une chaussure abandonnée sur le pont, et Marek, le chef mécanicien, craint qu’un passager clandestin soit à bord... Des soupçons, pas de certitude. Le capitaine polonais Bohdan récuse cette possibilité. C’est pourtant lui qui va cacher le clandestin - un Haïtien de vingt ans - dans sa propre cabine, avec la complicité de Joséphine, une jeune voyageuse embarquée pour le Chili. Chacun des deux “sauveurs” est aux prises avec des motivations fluctuantes, souvent contradictoires, entre solidarité et lâcheté, bonne et mauvaise conscience, doute et culpabilité, surtout Bohdan, déchiré entre son devoir de respecter la loi et sa propre morale... Jusqu’à ce que Marek voie le clandestin de ses propres yeux, et c’est le drame. Dans un huis-clos qui contraste avec l’infini des océans, l’histoire est emblématique des positionnements de l’Occident face à l’immigration clandestine.

Ballade d’un amour inachevé, Louis-Philippe Dalembert, Mercure de France

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Tout est raconté dans l’après-coup de la tragédie qui a frappé le cœur des Abruzzes en avril 2009. Quand survient le drame, après deux ans passés au nord de l’Italie, où “l’atmosphère était devenue périlleuse pour les extracommunautaires”, Azaka a trouvé sa place dans cette région et il s’est marié avec une fille du pays, Mariagrazia. Dès les premières secousses, Azaka se souvient d’un autre séisme, celui qu’il a vécu à l’âge de dix ans : “Jamais il ne se serait attendu à revivre cette chose, qui pis est si loin de chez lui. À croire qu’elle attendait dans l’ombre le moment propice pour le rattraper et achever le sale boulot commencé un quart de siècle plus tôt.” Le récit suit les chemins aléatoires de la mémoire, Azaka évoque sa vie par fragments, les réactions face à son couple révélant les préjugés de la société italienne, terre d’émigration devenue pays d’immigration. Si Dalembert dénonce le rôle des médias, qui ont “introduit dans les foyers la peur et la haine de l’autre”, il ne tombe jamais dans le réquisitoire et son humanisme reste teinté d’humour.
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Georgia, Julien Delmaire, Grasset

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Dans sa langue imagée et rythmée de poète slameur, Julien Delmaire chante la rencontre fulgurante d’une jeune toxico et d’un étudiant sénégalais devenu prolétaire sans-papiers. Ayant fui la “sollicitude de cadenas” de sa famille avec l’espoir d’“être enfin personne”, Venance n’a reçu en Europe qu’ “une cartouche de mépris” et il est devenu “l’étranger, non pas le noble fils de l’Ailleurs, mais le parfait indésirable”. Avec son lot d’humiliations : files d’attente à la préfecture, boulots au noir, peur des contrôles... La rencontre avec Georgia ne sera qu’une parenthèse enchantée, la jeune femme lui parle, jette sa vie en vrac, se forge une enfance sauvage et féerique, mais il n’a aucune prise sur elle. “Personne ne m’a jamais eue”, dit-elle. Sauf le singe posé sur son épaule. Deux solitudes se croisent dans la ville, et leur histoire continue de résonner, le livre refermé, aussi entêtante que Georgia, la chanson.

Un homme, ça ne pleure pas, Faïza Guène, Fayard

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Né à Nice de parents algériens, Mourad occupe une place privilégiée pour observer sa famille : il est le seul garçon et le petit dernier. Djamila, sa mère, est le prototype de la mamma méditerranéenne : aimante, nourricière, étouffante, culpabilisante. Son père, ancien cordonnier, passait sa vie à bricoler dans son jardin transformé en “cimetière de ferrailles” avant qu’un AVC ne le laisse à demi vivant. Quant à ses deux sœurs, la cadette, Mina, respecte famille et traditions, alors que l’aînée, Dounia, entre en rébellion avec les siens jusqu’à la rupture : elle refuse le mari qu’on lui destine, devient avocate et se lance dans la politique. Au milieu, avec beaucoup de lucidité quand il décrit Dounia comme le symbole de “ce que la République réussit de mieux : une réussite accidentelle”, Mourad tente de trouver son chemin. Ce roman évoque avec tendresse et humour les conflits de générations et de cultures au sein d’une même famille.
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Faire l’aventure, Fabienne Kanor, JC Lattès

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On est plein de rêves lorsqu’on a dix-sept ans. C’est à cet âge que se rencontrent à Mbour, petite ville côtière du Sénégal, Biram et Marème. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard à Palerme, chacun à sa manière ayant “fait l’aventure”. Biram a sauvé sa peau de justesse lors de la traversée en pirogue jusqu’à Tenerife, où il a été “modou-modou”, petit vendeur à la sauvette. Expulsé, il est revenu en Europe par Lampedusa. Marème, elle, n’a pu sauver son mariage avec un journaliste français, mais, après une “suite ininterrompue d’humiliations et de complications”, elle a épousé un vieil Italien riche. À chaque sexe ses expédients sur les chemins de l’exil, où les relations avec les Blancs sont bien faussées quand on manque de tout. Tous deux ont connu galères, désillusions, sursauts de fierté et de colère : “On devrait pouvoir vivre où on veut vivre. Ou alors, que chacun reste dans son pays”, s’insurge Biram. Au terme de cette odyssée initiatique, au moins sont-ils devenus adultes : “Si l’Europe ne me fait plus du tout rêver, elle m’a fait grandir”, déclare Marème.
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Guido, Guy Scarpetta, Gallimard

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Si Scarpetta consacre un livre à son grand-père Guido né à la fin du XIXe siècle en Italie, ce n’est pas pour “entretenir la stérile et fallacieuse mythologie des origines”, mais pour rappeler le rôle des étrangers dans la Résistance, ce que le roman national officiel a longtemps occulté. Après avoir combattu pendant la Première Guerre et en être “revenu bolchevik”, il s’installe en France avec sa famille en 1929. Arrivé simple maçon, il parvient à créer sa propre entreprise et s’engage très tôt dans la Résistance. Fin avril 1944, il est interné au camp du Vernet, comme beaucoup d’immigrés : “ceux-là, au fond, étaient la France, alors même que la plupart des Français de souche se soumettaient à l’occupant”. Fin juin, il est déporté à Dachau dans l’un des derniers convois, “Train fantôme” qui a mis deux mois à atteindre le camp, tandis que la France se libérait. Voyage dont il n’est jamais revenu. Entre chronique familiale et essai historique, Scarpetta rend hommage au Parti communiste, qui donnait “une conscience et une fierté au peuple”, et aux “triangles rouges”, les déportés politiques, tout en s’interrogeant sur ce que leur doit la génération née après la guerre, la sienne.
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Calcutta, Shumona Sinha, L’Olivier

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Installée à l’étranger, une jeune femme retourne en Inde, à Calcutta, pour assister à la crémation de son père. Arrivée dans la maison vide de son enfance, les souvenirs affluent : “C’est avec le rez-de-chaussée qu’elle a un lien. Là, les chambres ont retenu son souffle, les murs connaissent ses empreintes, le sol se souvient de son corps abandonné lorsqu’en été la chaleur leur montait à la tête, à mère et elle”. Lui reviennent les bruits, les odeurs, les couleurs de sa vie antérieure et des bribes de son histoire familiale au hasard des objets retrouvés : le revolver et l’attaché-case de son père, le flacon de parfum d’hibiscus de sa mère... Une mère dépressive en proie à une “indéfinissable douleur ” ; un père inventif, idéaliste, farouchement athée et communiste, donc en danger dans les années 70, quand la dame de fer Indira Gandhi faisait régner la terreur ; une grand-mère paternelle dont la vie, quand elle la racontait à sa petite-fille, évoquait les contes des Mille et Une Nuits. Ce récit d’un retour au pays natal est un puzzle sensoriel et politique, les souvenirs de Trisha et l’histoire du Bengale occidental étant toujours intimement mêlés.
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Feu pour feu, Carole Zalberg, Actes Sud, coll. “Un endroit où aller”

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“Tu n’étais jamais loin, mais je t’avais perdue.” Un père parle à sa fille Adama, il lui raconte leur long périple de Terre Noire au Continent Blanc, ce qu’il n’a jamais fait. Il ne s’adresse pas à elle directement, elle a été arrêtée après avoir commis un acte terrible à cause de jalousies dérisoires entre copines rivales. Avec tendresse et humilité, il s’interroge sur ses erreurs au cours de leurs quinze ans de vie commune, alors qu’il les croyait à l’abri dans une cité de banlieue dont, submergé par la nécessité de survivre, il ne percevait ni la laideur, ni l’ennui : “J’ignore ce qui, de mon silence, de nos épreuves, de ton désœuvrement ou de tout autre chose, a été le premier vacillement. Et quelle différence cela aurait-il fait si je t’avais raconté d’où nous venions ?” La parole d’Adama vient ponctuer le monologue de son père : deux langues différentes qui traduisent l’abîme qui les sépare. Le feu continue ses ravages.
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