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Les hommes libres

Plusieurs jeunes cinéastes d’origine maghrébine, mais activement ancrés dans la culture française (Rachid Bouchareb, Bourlem Guerdjou, Roschdy Zem, Ismaël Ferroukhi…), s’efforcent de revisiter l’histoire coloniale ou nationale, pour mettre en lumière des épisodes ou des figures oubliés ou intentionnellement occultés ou trahis.

Sortis de l’ombre, cette multitude de travailleurs invisibles attestent des imbrications de leurs destins modestes avec les événements qui les dépassent mais où ils ont eu un rôle à jouer. Ainsi des soldats des guerres mondiales (spahis, tirailleurs…), des supplétifs des mouvements sociaux (manifestants, grévistes, syndicalistes), des acteurs adverses de la décolonisation (partisans du FLN ou du MNA, collecteurs de fonds, harkis). S’attachant à combler des trous de mémoire, devenus révélateurs d’actions héroïques ou banales, chasseurs d’images, redresseurs de tords, ils se livrent aussi à une quête réparatrice pour consolider les pans les plus fragiles de leur identité. Les hommes libres d’Ismaël Ferroukhi s’inscrivent dans cette perspective de restauration mémorielle.

L’histoire est peu connue. Dans le Paris occupé de 1942, alors que les autorités de Vichy, pactisent sans vergogne avec les nazis et participent à la traque des juifs, un réseau de soutien clandestin s’est organisé autour de la mosquée de Paris, sous la houlette de son Recteur Si Kaddour Ben Ghabrit. Contre toute idée reçue, des Mahometans, à l’instar du Sultan du Maroc, ont distribué des faux-papiers, aidé des enfants Israëlites à se soustraire aux rafles, caché des fuyards et surtout refusé de collaborer.
A l’immense Mickaël Lonsdale (un peu trop immense et un peu trop convaincu de son immensité) et au jeune prodige Tahar Rahim, révélation du Prophète d’Audiard, Ismaël Ferroukhi, laisse leur part de secrets et même d’ambiguïtés. Le Recteur n’est pas qu’un lettré humaniste qui prend des risques, il est aussi un mondain qui aime les honneurs et reste prudent dans ses compromissions.
Younès, venu d’Algérie en Métropole pour faire des affaires (on dirait aujourd’hui du « trabendo ») n’a aucune conscience politique, aucun élan solidaire vers les frères du mouvement nationaliste. Il reste le petit prince du marché noir. Il se laisse orienter par le profit et sa métamorphose devra beaucoup aux éléments extérieurs : Leila, révélateur idéologique et sentimental (Lubna Azabal), entre lectures engagées et caresses éphémères, et surtout Salim Halali (Mahmoud Shalaby); chanteur et musicien, parangon de l’homme libre, adulé même après que Younès ait découvert qu’il était juif et homosexuel.
Ce film n’est pas une hagiographie. Ces hommes libres (du berbère amazigh) qui ont existé en des temps serviles dérangent peut-être encore les autorités qui ont refusé les autorisations de tourner à la Mosquée de Paris. Malgré quelques stéréotypes (le ballet des tractions avant dans le Paris occupé, les poursuites, les rafles, le cabaret…) ce film sobre (on l’a comparé à L’armée des ombres de Jean Pierre Melville, excusez du peu !) bénéficie de la caution historique de Benjamin Stora et la partition musicale qui réunit, sous la conduite d’Armand Amar des succés classiques de Salim Hallali, des variations de Pinhas Cohen et des interventions à la trompette d’Ibrahim Maalouf, comblera les amateurs de rythmes arabo-andalous.
 

André Videau

Les Hommes libres
Date de sortie cinéma : 28 septembre 2011
Réalisé par Ismael Ferroukhi
Avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale, Mahmud Shalaby
Long-métrage français
Genre Drame
Durée : 01h39min
Année de production : 2010
Distributeur : Pyramide Distribution