Champs libres : films

Le Médecin imaginaire

Film d’Ahmed Hamidi (France, 2020)

Fatsah Bouyahmed s’est révélé un acteur comique de talent en 2016 en incarnant le propriétaire de la vache Jacqueline qu’il va convoyer du Maroc au Salon de l’agriculture à Paris dans le film justement intitulé La Vache. Le succès public est conséquent. La réalisation est signée Mohamed Hamidi, issu d’une fratrie de neuf enfants, qui habite la ville de Bondy. La fratrie se lie d’amitié avec Fatsah, d’origine kabyle, qui voisine à Aubervilliers. Mais, dans la famille Hamidi, il y a aussi Ahmed, premier à percer dans le showbiz par ses capacités d’écriture qui le conduisent au Jamel Comedy Club, où il côtoie Alban Ivanov et Fatsah. Il connaît le succès avec Les Guignols de l’info sur Canal+ où il crée des sketches qui révèlent un vrai don d’écriture qu’il confirme aujourd’hui avec Le Médecin imaginaire, dont il va non seulement écrire le scénario avec Fatsah, mais qu’il mettra lui-même en scène pour sa première fois derrière la caméra. Il signe une comédie qui n’est pas dénuée de tendresse à travers un personnage à la fois truculent et touchant, en l’occurrence Abdel, interprété par Fatsah Bouyahmed, qui, sur une idée de son producteur Bruno Levy se lance dans l’écriture en s’associant à Ahmed Hamidi.

Abdel vit au bled dans un village du Maroc du nom de Mirleft où il nourrit le rêve de passer son diplôme d’aide-soignant, tant il affiche de générosité à l’égard de ses semblables auxquels il souhaite venir en aide. Il a déjà l’ambulance qui, en fait, est un vélomoteur qu’il a maquillé avec une croix rouge. L’intrigue du film va se nouer à travers la rencontre inattendue entre Abdel et Alex – alias DJ Wethu – qui, à la limite du burn-out, sera victime d’une chute sur le coccyx qui va l’handicaper durant un festival au Maroc, où il va élire domicile et s’acoquiner avec Abdel. Alex est conquis par la sollicitude et la gentillesse de tous les instants de celui qui est chargé de faire preuve de vigilance le temps de la convalescence du DJ.

Formidable Alban Ivanov, lequel va former avec Fatsah un duo improbable et pourtant réussi. L’ingéniosité des deux co-auteurs est d’avoir mis en interface une figure typique du monde agité des DJ et la sagesse, mêlée d’un rare bagout, d’Abdel. Le casting du Médecin imaginaire, titre détourné de Molière que Fatsah a longtemps fréquenté au théâtre, est on ne peut plus savoureux. En tête, Smaïn et Booder dans les rôles de deux policiers déjantés, Clotilde Courau incarnant la Parisienne stressée et Saadia Ladib une femme divorcée non dénuée de charme dont Abdel va tomber amoureux, et un personnage muet, celui d’une jeune geek jouée par Rawan El Kadiri qui passe son temps sur les toits et sur l’ordinateur…

Avec Le Médecin imaginaire, on remarque que, désormais, quelques scénaristes ou réalisateurs comme Ahmed et Mohamed Hamidi, issus des cités, font incursion dans le genre des comédies populaires quand leurs alter ego se focalisent plutôt sur le social, le politique ou les films de quartiers tels Bac Nord ou Les Misérables de Ladj Li. Il faut, au passage, se féliciter que ces auteurs investissent d’autres genres cinématographiques, et plus particulièrement la comédie et l’humour.

Sur le côté Don Quichotte et Sancho Pança des deux personnages moteurs, Ahmed Hamidi explique : « Ça vient aussi du fait que Fatsah et Alban viennent de la scène. Fatsah charrie immédiatement un aspect burlesque. Il se situe entre Chaplin, Jacques Tati et Louis de Funès avec un physique de cartoon rigolo qui ne supporte pas la frénésie. Dès que j’ai imaginé Alban et Fatsah roulant sur la mobylette d’Abdel, j’ai su que je tenais notre duo. À partir de cette image qu’on retrouve sur l’affiche du film, nous avons tiré notre fil d’Ariane qui lorgne aussi du côté du cinéma italien et de la fable. »

Sur le début du film, qui met l’accent sur Alban Ivanov le DJ, Ahmed Hamidi évoque « le monde de bruit et de fureur dans lequel Alex navigue et qui domine à l’image jusqu’au moment où il va s’effondrer. J’ai choisi un DJ pour dépeindre un monde extrême mais, au fond, beaucoup de gens peuvent se retrouver dans cette vie vécue sous pression permanente. Pour un DJ à succès, la particularité, c’est qu’il arrive un moment où sa garde rapprochée décide de tout pour lui. Alex n’a plus le temps d’agir en conséquence et d’être lui-même. J’ai aussi beaucoup repensé au début des années 2000. J’ai assisté à des scènes insensées ou Jamel (Debbouze) était sursollicité, personne ne se posait la question de savoir si ce n’était pas trop pesant pour lui. Tout le monde s’agite frénétiquement autour de ces vedettes ».

La partition musicale signée Sinclair est volontiers contrastée, d’autant qu’Hamidi souhaitait « une musique de fanfare à mi-chemin entre Kusturica et la musique arabe. Il fallait que ce soit vivant et joyeux tout en gardant la grâce du Maroc à l’esprit ».

Sur sa façon de jongler entre deux extrêmes, à savoir le rire aux éclats et les pleurs, Fatsah Bouyahmed reconnaît que « c’est pour le public tout ça. Je pense que c’est vertueux de proposer des émotions contrastées au cinéma. On a tous des repères émotionnels et j’aime jouer avec cette palette. C’est une manière de promener les spectateurs, et puis c’est aussi l’influence du cinéma italien des années 1960-1970 que nous aimons beaucoup avec Ahmed, et celle des gens avec lesquels j’ai grandi qui étaient capables de passer de la colère à la tristesse en un éclair ». Quant au phrasé inénarrable de Fatsah, que ce soit dans La Vache ou dans Le Médecin imaginaire, il vient de l’imitation de l’accent maghrébin… de son père.