Article de dossier/point sur

Introduction : École, migrations et socialisations

professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV) et directeur du CAREF

Comment se déroule la scolarisation des enfants de migrants dans ce que l’on appelle en ce début de XXIe siècle, l’ « École inclusive » ? L’usage du mot « inclusion » dans les mondes de l’éducation, bien qu’il remonte à la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005, dite loi « handicap », s’est étendu ces dernières années à d’autres catégories d’élèves. L’inclusion est devenue une sorte d’impératif catégorique qui s’applique à toutes les situations où les enfants et les adolescents expriment « des besoins particuliers ». Les enfants de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV) sont considérés comme tels. Les enfants de migrants qui ne parlent que la ou les langue(s) de leur pays d’origine constituent, depuis la circulaire du 2 octobre 2012, une catégorie appelée EANA (Élèves allophones nouvellement arrivés). On distingue à l’intérieur ceux qui ont déjà été scolarisés de ceux qui « n’ont pas été scolarisés auparavant » (EANA-NSA). Ces classements laissent entendre que les élèves allophones sont nécessairement en difficultés scolaires, ce qui ne va pas de soi et peut aller à l’inverse de ce qui est escompté. Il n’en reste pas moins qu’il existe une situation d’étrangeté linguistique qui doit mobiliser les équipes pédagogiques. De surcroît, l’apprentissage d’une nouvelle langue n’est pas qu’une question de grammaire, d’orthographe et de vocabulaire. C’est aussi une question de socialisation par le langage qui implique, selon l’expression de Basil Bernstein un « code linguistique », lequel renvoie aux mondes vécus des élèves : famille, groupe de pairs, école… C’est pourquoi les politiques éducatives qui tiennent compte de ces facteurs de socialisation s’efforcent de reconsidérer les apprentissages à travers la diversité des situations familiales et sociales et en cherchant des modes d’enseignement appropriés à l’intérieur et à l’extérieur des établissements scolaires. Des dispositifs visant l’accueil des élèves allophones ont ainsi été introduits dans le système éducatif français ces dernières années. Ils sont nommés par des sigles qui ne parlent qu’aux spécialistes : UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivant), UP2A-NSA (non scolarisés auparavant), OÉPRE (Ouvrir l’École aux parents pour la réussite des enfants), etc.

On trouvera, tout d’abord, dans ce dossier des études de cas qui reviennent sur quelques-unes de ces expériences en cours. Céline Piot s’intéresse à l’école élémentaire du Peyrouat, à Mont-de-Marsan, qui accueille des élèves allophones depuis les années 1980. L’article revient sur les expériences de coenseignement, les tentatives de prise en compte des situations plurilinguistiques qui se déroulent dans cette école.

Élodie Castaingts mène une enquête dans un collège de Reims sur la mise en oeuvre des dispositifs UPE2A et OEPRE chez les enseignants, les assistants d’éducation, les enfants et leurs parents. Les UPE2A créent des « écosystèmes » qui favorisent la participation des parents mais semblent, ici, ne pas éviter le décrochage de certains EANA à la sortie.

Sofia Stratilaki-Klein revient sur les rapports entre le plurilinguisme des enfants allophones qui viennent d’arriver, la construction de leur identité et leur réussite scolaire. Leur socialisation ne se réduit pas, sur le plan pédagogique, à un simple apprentissage d’une nouvelle langue de scolarisation, celle du pays d’accueil, ni sur le plan sociologique à leur marginalisation. La recherche-formation, « Plurilinguisme et inclusion scolaire » (PLINSCO) montre que la prise en compte par les acteurs de l’École de la pluralité des langues d’origine favorise l’assimilation de la nouvelle langue et leur socialisation dans le pays d’accueil.

Fanny Matton nous emmène en Suisse romande où, selon elle, l’histoire des migrations n’est pas assez pensée ni enseignée. L’auteure cherche, dans les écoles primaires, à élaborer des outils pédagogiques destinés à exploiter judicieusement les sources orales du passé des familles migrantes. Comment aider les élèves (et les parents) à établir des repères biographiques et historiques qui leur permettent de se situer dans le passé, le présent et l’avenir ? Loin d’être identitaires, ces outils devraient permettre d’apprendre à pluraliser l’identité et à distinguer le mémoriel de l’historique. Ils supposent aussi un décentrement de l’enseignant à l’égard de leur propre passé.

Sébastien Vida visite un autre monde éducatif qui accueille des élèves de famille musulmane : les établissements privés sous contrat, catholiques. En partant des archives, il montre comment, des années 1960 aux années 2000, une politique d’accueil a été progressivement mise en place en s’adaptant aux mutations sociétales auxquelles n’échappe pas l’enseignement catholique : conflits autour du « voile islamique », relations entre catholiques et musulmans, logiques de distinction sociale, de performance et de protection des enfants à l’ère des quasi-marchés scolaires.

D’autres articles insistent sur le fait que les enquêtes actuelles sur ces expériences de scolarisation nécessitent une plus grande coopération des approches en sciences humaines et sociales. Celui de Catherine Mendoça Dias et Isabelle Rigoni revient sur la dimension pluri et interdisciplinaire de la recherche EVASCOL (Évaluation de la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de famille itinérantes et de voyageurs), réalisée en 2015-2017 et à laquelle les auteures ont participé. Les enquêtes ont mobilisé des chercheurs en sociologie, en anthropologie, en sciences du langage, en didactique des langues et des mathématiques, et en sciences de l’éducation. L’article montre quelquesunes des répercussions de ces hybridations sur les plans théoriques et méthodologiques.

C’est aussi cet esprit interdisciplinaire, voire transdisciplinaire, qui anime la démarche de Christine Karman et Annemarie Dinvaut. Sociolinguistique, sociodidactique et ergologie se croisent dans l’analyse de dispositifs, de gestes enseignants et de conduites résilientes des élèves exilés en France et accueillis en UPE2A. Les auteures mettent l’accent sur la co-construction des savoirs chez les acteurs des enseignements-apprentissages et la façon dont des adolescents peuvent s’approprier des modes de communication diversités pour apprendre à leur rythme, à exprimer leur vécu, tel l’atelier radiophonique, par exemple.