Politique et immigration

1980-2022 : lois sur l’immigration, le mille-feuilles législatif

Malgré des éléments distinctifs entre droite et gauche – notamment faire ou ne pas faire de l’immigration un clivage dans la société ou les lois de 1981 (dite Questiaux) et de 1984 (création d’une carte unique de séjour et de travail) – les 29 lois sur l’immigration (une tous les 17 mois depuis 1980) convergent vers un durcissement des conditions d’entrée et d’installation sur le territoire national et, nouveauté par rapport à l’ordonnance de 1945, du droit d’asile. Un durcissement et une (trop) lourde complexité, d’autant que ce mille-feuilles législatif, souvent qualifié d’indigeste, ne réfrène aucun nouvel exécutif.

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Patrick Zachmann, sous-préfecture de Bobigny, 1981
Patrick Zachmann, Régularisation d'immigrants illégaux à Bobigny, 1981, tirage argentique noir et blanc Art Graphic sur papier satiné, 40 cm x 30 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2007.71.1
© EPPPD-MNHI, © Patrick Zachmann/MAGNUM PHOTOS

Maîtriser les flux migratoires

L’objectif général reste de limiter l’arrivée d’étrangers en France, de durcir les conditions d’installation et de faire du séjour irrégulier un motif d’expulsion (Loi Bonnet 1980). Pour cela, il faut maintenir en zone d’attente des ports et aéroports les demandeurs d’asile (Loi Quilès,1992), durcir les conditions d’obtention des visas ou du certificat d’hébergement (Cresson, 1991 ou Pasqua, 1993), confisquer le passeport, mémoriser des empreintes digitales (Debré, 1997), créer un fichier d’empreintes digitales et de photos (Sarkozy 2003). Les sanctions contre le travail au noir ou clandestin touchent les étrangers et les employeurs (Cresson, 1991), et un délit de solidarité peut viser ceux qui aident les étrangers en situation irrégulière (1994). L’alcôve entre dans la ligne de mire du législateur, via la lutte contre les mariages dits blanc (Pasqua 1993) ou la création d’un délit de « mariage de complaisance » (Sarkozy, 2003). Les préfets peuvent être autorisés à promulguer des interdits de circulation, comme en 2016 contre tout ressortissant européen qui constituerait une menace.

Le droit au séjour

Le premier outil législatif porte ici sur les conditions de délivrance et le type de cartes de séjour ainsi que la distinction opérée, ou non, entre droit au séjour et droit au travail (loi du 17 juillet 1984, loi Joxe,1989). Ces conditions ont été durcies par la loi Pasqua (1986), laquelle fut corrigée par la loi Debré (1997) et assouplie en 1998 par la loi Chevènement (création d'une carte de séjour temporaire, sans pour autant revenir aux conditions de 1984). En 2016, une carte de séjour pluriannuelle voit le jour (Cazeneuve). Il existe aujourd’hui plusieurs cartes de séjour : de résident (10 ans ou permanente), de séjour temporaire (1 an), pluriannuelle (2 et 4 ans), retraite (10 ans), certificat de résidence pour Algérien (10 ans), CEE (10 ans), EEE (permanente) ou UE (5 ans ou permanente).
Le législateur peut même inverser l’ordre du temps et faire de l’intégration un préalable aux conditions de la stabilité du séjour ainsi, l’obtention d’une carte de séjour sera conditionnée à « une intégration effective » (Sarkozy, 2003, 2006) voir possiblement retirée (Pasqua 1993, Sarkozy 2003 et 2004). En 2016,  le « contrat d'accueil et d'intégration » devient le « contrat d'intégration républicaine » Les délais d’obtention d’une carte de résident à toute une catégorie d’ayant droits, comme les conjoints d’étrangers (Sarkozy 2003, Sarkozy 2006) peuvent être étendus. A contrario, certains droits peuvent être mieux protégés : étrangers malades ou retraités (Cazeneuve, 2016), jeunes filles menacées d'excision et femmes victimes de violences conjugales (Collomb, 2018). 
Durcir les conditions d’obtention d’une carte de résident de 10 ans et multiplier, et/ou favoriser les titres de séjour temporaires, peut se traduire par une précarisation du séjour et fragiliser l’intégration des étrangers. Cela dans un contexte où les contrôles d’identité peuvent être renforcés et élargis (lois Peyrefitte, 1981 ou Pasqua, 1993), les conditions du regroupement familial durcies (Pasqua 1993, Sarkozy 2006, Hortefeux 2007), le versement des prestations sociales conditionné à la régularité du séjour (Pasqua 1993) ou par l’obligation faite aux parents de faire respecter le « contrat d'accueil et d'intégration » à leurs enfants (Hortefeux, 2007).

Expulsions et lutte contre les séjours irréguliers

La loi Questiaux (octobre 1981) pose le principe de la rétention dans la perspective d’expulser les étrangers. Depuis, l’arsenal s’est musclé, notamment en 1986 (loi Pasqua) et la possibilité d’expulser les étrangers en situation irrégulière par décision préfectorale (sans contrôle judiciaire) ou en 1992 (Marchand). E. Cresson, Première ministre, évoque alors la possibilité d’expulser en charter. Les Centres de rétentions administratives (CRA) ont été multipliés, de même qu’ont été créés des Zones de transit (Marchand, 1992) rebaptisées Zones d’attente (Quilès, 1992) permettant de retenir les étrangers refoulés aux frontières, y compris les enfants. La durée de rétention a été allongée (lois Bonnet, Pasqua, Chevènement, Debré, Sarkozy, Besson, Collomb… ), les délais de recours réduits, les procédures d’expulsion accélérées, les Interdictions de retour sur le territoire français ou IRTF, multipliées (Marchand,1992,  Cazeneuve 2016), les Obligation de quitter le territoire français ou OQTF renforcées et étendues (Cazeneuve 2016). Ces mesures d’éloignement peuvent être placées sous le contrôle d’un juge des libertés et de la détention (JLD) (Questiaux 1981 ou Cazeneuve 2016) ou d’un juge administratif (Besson 2011).
À cela s’ajoute le principe de la double peine : l’étranger, après avoir subi sa peine pour une infraction, peut être expulsé dans son pays d’origine. Instaurée par la loi du 31 décembre 1970 sur la lutte contre la toxicomanie, son champ d'application a été étendu à plusieurs centaines d’infractions avant d’être assouplie par G. Deferre (1981) puis N. Sarkozy (2003).

Durcir les règles du droit d’asile

La demande d’asile étant devenue une voie d’entrée sur le territoire national, le droit d’asile participe désormais de la maitrise des flux migratoires. En 2007, la loi Hortefeux place l’Ofpra sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Les réformes sont nombreuses : interdiction faite aux demandeurs d’asile de travailler (Chevènement, 1998), interdiction passée de 9 à 6 mois, si les « raisons ne sont pas imputables au demandeur » (Collomb, 2018), placement des réfugiés statutaires en Centre d’accueil de demandeurs d’asile ou CADA (E. Cresson, 1991), avec un dispositif d’hébergement contraignant (Cazeneuve 2016), élargissement du droit d’asile avec l’asile constitutionnel (fondé sur l'alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, il ne concerne que très peu d’étrangers) ou territorial, pour les personnes menacées non par les autorités officielles de leur pays mais par des mouvements armés ou des individus (Chevènement, 1998), création d'une liste de « pays d'origine sûrs » et de la notion d’ « asile interne » (possibilité de trouver une protection sur une partie du territoire du pays d’origine), suppression de l’asile territorial remplacé par la protection subsidiaire (Sarkozy 2003). Parmi les autres outils utilisés : réduire les délais de recours (Hortefeux, 2007, Collomb 2017), accélérer les procédures à l’instar du juge unique à la CNDA, multiplier les audiences vidéo, délivrer une OQTF pour les demandeurs d’asile de pays dits « sûrs » (Collomb, 2018), assigner à domicile les déboutés frappés d’une OQTF pendant le délai de recours (Collomb, 2018), limiter les pouvoirs du juge en matière de rétention (Debré 1997) ou au contraire permettre à un JLD d’intervenir 48h après la détention d’un étranger, contre 5 jours auparavant (Cazeneuve, 2016).

Une immigration à la carte

Théoriquement suspendue depuis 1974, l’immigration de travail - régulière et irrégulière – reste indispensable dans nombre de secteurs (hôtellerie-restauration, BTP, aide à la personne, santé, gardiennage ou travail agricole saisonnier - comme l’a montré la crise de la Covid). Partant, le législateur semble s’efforcer de colmater les incohérences du système en créant de nouveaux droits au séjour, réservés à une immigration de travail. S’affirme alors la casuistique d’« une immigration choisie » versus une immigration « subie ». Cela s’est traduit par la mise en place d'une carte de séjour « compétences et talents » et d'une carte de séjour de un an renouvelable pour travailler dans des secteurs listés comme « tendus » (Sarkozy, 2006), la création d’un « passeport talent » (Cazeneuve, 2016), l’amélioration de l'accueil de ces compétences et talents, l’extension du passeport talent aux salariés d'entreprises innovantes, les facilités accordées pour la recherche d'emploi des étudiants qui auront terminé leurs études en France (Collomb 2018).

Mustapha Harzoune, janvier 2023

Sources :

Ouvrages :

  • Danièle Lochak, Étranger, de quel droit ?, PUF, 1985
  • Claire Rodier, Xénophobie business. À quoi servent les contrôles migratoires ?, La Découverte, 2012.
  • Jacques Toubon, Je dois vous dire. Nos droits sont en dangers, éd.Stock 2022.
  • Patrick Weil, La France et ses étrangers : l'aventure d'une politique de l'immigration de 1938 à nos jours, Gallimard, 1991. Réed. Collection Folio Histoire (no 135), 2005.
  • Catherine Wihtol de Wenden, La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations internationales, Presses de Sciences Po, 3e édition 2017

Articles :

  • Serge Slama, « Réfugiés versus migrants : la fabrique d’une distinction », Hommes & migrations, hors-série, automne 2020.
  • Alexis Spire, « De l’étranger à l’immigré. La magie sociale d’une catégorie statistique », Actes de la recherche en sciences sociales, 129, 1999.