Culture et diversité

Quelles empreintes l’immigration laisse-t-elle dans la littérature ?

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Mehdi Charef devant la Médiathèque du Petit-Nanterre
Mehdi Charef, lauréat du Prix littéraire de la Porte Dorée 2020. Ici devant la Médiathèque du Petit-Nanterre construite à l'emplacement de la cabane où il a vécu avec sa famille dans le bidonville de Nanterre.
Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée

Une présence ancienne dans les lettres françaises

Sans remonter à la figure d’un Emile Zola ou d’un Apollinaire, les lettres françaises n’ont cessé de s’enrichir d’écrivains d’origine étrangère. Les premières traces d'immigration, dans la littérature contemporaine, française ou francophone, se nomment Samuel Beckett, Eugène Ionesco ou Cioran, Romain Gary pour les plus connus, mais aussi Jean Malaquais, (Prix Renaudot 1938 pour Les Javanais) ou un Clément Lépidis.

Paris, capitale des auteurs noirs américains (James Baldwin, Richard Wright ou Chester Himes…), d’écrivains sud-américains (Miguel Angel Asturias, Julio Cortázar, Alejo Carpentier, Manuel Scorza, Mario Vargas Llosa ou César Vallejo) ou allemands fuyant le nazisme, Klaus Mann en particulier. Dans les années 30, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, René Depestre, Léon-Gontran Damas, Guy Tirolien, Birago Diop lancent le mouvement de la « négritude ». Une décennie plus tard, émerge dans le contexte colonial d’Afrique du Nord, avec Jean Amrouche, Taos Amrouche, Mouloud Feraoun d’abord, puis Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Assia Djebar, Driss Chraïbi, Kateb Yacine ou Rachid Boudjedra.

 

L’irruption des auteurs issus de l’immigration

Dans les années 80, alors que Georges Perec publie son Récit d’Ellis Island, s’ouvre un nouveau chapitre de  la littérature française avec l’irruption, des premiers auteurs issus de l’immigration nord africaine, puis subsaharienne. Les pionniers se nomment Mehdi Charef, Azouz Begag, Akli Tadjer, Ahmed Kalouaz. Ils seront rejoints dans la décennie 90 par Tassadit Imache, Malika Wagner, Nina Bouraoui, Lakhdar Belaïd, Minna Sif, Abdel Hafed Benotman, Saïd Mohamed, Mounsi, Karim Sarroub, Rachid Djaïdani ou Achour Wamara . Et cette floraison ne cesse de s’épanouir. La France littéraire grouille de jeunes talents qui viennent redorer le blason des lettres nationales. Ils se nomment Faïza Guène, Sabri Louatah, Kamel Hajaji, Mabrouck Rachedi, Hafid Aggoune, Kaoutar Harchi, Kamel Hajaji, Samira El Ayachi, Saber Mansouri, Sandrine-Malika Charlemagne… la liste est longue ! Ils sont stéphanois (Sabri Louatah ou Hafid Aggoune), ch’ti de naissance et yssingelais d’adoption (Abdelkader Railane), lilloise (Samira El Ayachi), strasbourgeoise (Kaoutar Harchi), franciliens (Faïza Guène ou Mabrouck Rachedi), toulousain (Magyd Cherfi)… Rien que du normal. Du commun. De l’indifférencié républicain. De la littérature – française ! Une juvénile impétuosité capable de renouveler formes et thèmes littéraires, et de faire « reculer les ignorances ».

La littérature française est (aussi) une littérature monde. Elle n’en finit pas de se nourrir des différentes migrations ; dès lors la moisson s’enrichie des langues et des styles teintés d’imaginaires et de réalités nés des migrations d’Afrique subsaharienne, des Antilles ou d’Haïti. Après Ousmane Sembène, Bernard Dadié, Ake Loba ou Cheikh Hamidou Kane, en 1968, Yambo Ouologuem, reçoit le Prix Renaudot pour Devoir de violence. En 1992, Calixthe Beyala ouvre à son tour la route d’une nouvelle génération, suivie en 1998 par Alain Mabanckou et son Bleu Blanc Rouge. Littérature française et roman national s’élargissent avec Tierno Monenembo (Le terroriste noir) ; Gaston-Paul Effa  (Rendez-vous avec l’heure qui blesse), Michaël Ferrier (Sympathie pour le fantôme) et le liste s’allonge avec  Fatou Diome, Gauz, Fabienne Kanor, Léonora Miano, Koffi Kwahulé,  Kossi Efoui, Dany Laferrière, Louis-Philippe Dalembert, Marc Alexandre Oho Bambe ou l’exigeante Sylvie Kandé. Quant aux thèmes, ils transportent au cœur de l’Afrique (Abdourahman Waberi ou Gaye Faye), sur le bitume des cités (Thomté Ryam ou Wilfried N’Sondé), sur les chemins hexagonaux (Julien Delmaire) ou dans ce commun en partage que portent des réfugiés ou la littérature (Mohamed Mbougar Sarr).

 

Le roman français, un roman monde

La France littéraire est au carrefour de bien d’autres migrations. Européennes avec Kathérévane Davrichewy Sophie Schulze, Pavel Hak, Léonor de Récondo, Guy Scarpetta sans oublier l’académicien Andréï Makine ou M. Del Castillo ni les plus récents : Velibor Čolić, Katrina Kalda, Andrea Salajova, Albena Dimitrova ou Dimitri Bortnikov…
Avec Nancy Huston pour le Canada, Jack Lamar ou Eddy L.Harris pour les Etats-Unis,  c’est le continent nord américain qui a débarqué en France.
Amin Maalouf incarna longtemps le Proche-Orient.  Il faut ajouter Mohed Altrad, Fawaz Hussein, aux origines kurdes de Syrie ou Sema Kilickaya, turque alévie. Khaled Osman cultive lui des origines égyptiennes.
Minh Tran Huy ou Doan Bui élargissent le cercle des auteurs d’origine asiatique (Anna Moï, Dai Sijie, François Chen ou Linda Lê). Et que dire de la fécondité iranienne portée par Chahdortt Djavann, Yassaman Montazami, Négar Djavadi, Nahal Tajadod ou Maryam Madjidi. Shumona Sinha (Inde) Atiq Rahimi (Afghanistan) ou Nathacha Appanah (Ile Maurice) offrent à leur tour de nouveaux horizons et de nouvelles sensibilités. Martin Melkonian porte à son tour une part de la mémoire arménienne. Quant à la mémoire et à l’exil juif dans la littérature française, elle est portée par nombre d’auteurs au parcours et interrogations divers : Jean Malaquais, Roger Ikor, Albert Memmi, Albert Cohen, Georges Perec, Romain Gary, André Schwarz-Bart, Serge Doubrovsky ou encore Hélène Cixous, Anna Langfus, Gisèle Halimi, Gil Ben Aych, Marco Koskas, Paula Jacques, Henri Raczymow, et, plus près de nous, Eric Fottorino, Valérie Zénatti, Olivia Elkaïm, Karine Tuil, Cloé Korman ou encore Juliette Minces

Ces auteurs, tous ces auteurs, sont les sismographes de la France contemporaine, des géologues attentifs à la tectonique des peuples, des cartographes des nouvelles appartenances et des nouveaux imaginaires. Toutes et tous rappellent nos contemporains à leur histoire : leurs histoires sont notre histoire.

Mustapha Harzoune, 2022