Politique et immigration

Le droit de la nationalité est-il identique dans tous les pays de l'UE ?

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Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002. Turkish immigrant with his lawyer at a court hearing concerning his residence permit. Amsterdam, Netherlands, 2001. Ad Van Denderen / Agence Vu'
Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002. Immigrant turc avec son avocat lors d'une audience de justice ayant trait à son permis de séjour. Amsterdam, Pays-Bas, 2001. Tirage argentique noir et blanc sur papier baryté 60 x 80 cm.
Musée national de l'histoire de l'immigration © Ad Van Denderen / Agence Vu'     

L’influence française sur les différents codes civils européens à l’époque moderne

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le droit de la nationalité était régi par le droit du sol hérité du servage. C’est le Code civil français, introduit en Europe par les conquêtes napoléoniennes, qui a remplacé ce droit du sol par le droit du sang. Le Royaume-Uni et l’Irlande, qui n’ont pas été occupés par l’Empire français, sont restés sous le régime du droit du sol, ce qui explique la distinction encore essentielle entre droit du sol anglo-saxon et droit du sang de la plupart des autres pays.

La prise en compte de l’immigration dans les droits européens 

La France, cependant, a introduit dès le milieu du XIXe siècle le droit du sol dans un contexte d’immigration lié au manque de main-d’œuvre et de déclin démographique. C’est seulement dans le tournant des années 1980 et 1990, face à la prise de conscience qu’ils étaient devenus des pays d’immigration et d’installation que les pays européens ont modifié leur droit de la nationalité en introduisant des éléments de droit du sol. En 1999, l’Allemagne, pays longtemps emblématique du droit du sang, a modifié son code, permettant ainsi aux jeunes d’origine étrangère d’acquérir plus facilement la nationalité allemande. Depuis le 1er janvier 2000, les enfants d'étrangers nés sur le territoire allemand, de parents étrangers également nés en Allemagne et y ayant vécu de façon durable, sont maintenant allemands à leur naissance. Ils peuvent conserver une éventuelle autre nationalité.
En Italie, la naissance sur le sol italien ne confère pas automatiquement la nationalité du pays. Selon la loi 91 de 1992, l’Italie n’accorde la nationalité à un enfant que si l'un des parents possède la nationalité italienne (idem en Suisse). Pour les autres, la loi est très restrictive, puisqu’il faut justifier de 10 ans de résidence continue pour les uns et pour celles et ceux qui sont nés en Italie, ils ne peuvent entamer des démarches qu’à partir de 18 ans et en justifiant une résidence continue. Cette résistance italienne à cette vague d’équilibre entre droit du sol et droit du sang tient en partie à l’importance de son émigration qui bénéficie de droits considérables en matière de nationalité (droit de la filiation) et de citoyenneté (vote…), y compris pour les descendants.
Au Royaume-Uni, toute personne née dans le pays avant le 1er janvier 1983 est citoyen britannique. Après, il faut qu'au moins un des parents soit Britannique ou autorisé à résider sans limitation au Royaume-Uni (comme c'est le cas jusqu'à présent pour les ressortissants de l'Union européenne).
A la suite d'un référendum en 2004, l'Irlande a restreint son droit du sol absolu, qui concernait aussi les personnes nées en Irlande du nord. Un enfant ne naît désormais Irlandais que si ses parents étrangers ont résidé en Irlande pendant trois des quatre années précédentes.
Au Danemark, un enfant né de parents étrangers n’est danois que s'il a habité le pays les dix-neuf premières années de sa vie.
Le "jus soli" (droit du sol) est reconnu parallèlement au droit du sang dans une trentaine de pays, essentiellement sur le continent américain. Les enfants nés aux Etats-Unis, au Canada, au Chili, au Mexique, en Argentine ou encore en Equateur obtiennent ainsi de façon automatique la citoyenneté du pays.

Double droit du sol

D'autres pays, en plus du droit du sang, appliquent un droit du sol conditionnel. La France, l'Espagne et la Belgique pratiquent ainsi le "double droit du sol": un enfant né dans le pays acquiert la nationalité du pays si au moins un de ses parents y est également né.
Par ailleurs, toute personne née en Espagne peut obtenir le droit à la nationalité après seulement un an de résidence. En Belgique, un enfant est Belge si ses parents ont résidé dans le pays pendant cinq des dix années précédentes.
Un enfant né en France de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité à sa majorité s'il y a résidé pendant au moins cinq ans. Des systèmes comparables sont en vigueur en Allemagne et au Luxembourg.

Vers une pluralité des allégeances

L’évolution commune de presque tous les pays européens traduit un fait et une acceptation : chacun de ces pays entérine (et prévoit) que l’accroissement de sa population se fait aussi par l’immigration. Des phénomènes nouveaux de double nationalité se manifestent, quand le droit du sol des pays d’accueil se double du droit du sang des pays d’origine, notamment dans les pays de culture musulmane. La double nationalité participe de la pluralité des allégeances, la pluralité du vécu de la nationalité et de la citoyenneté dans les pays européens. Pour autant nombre de binationaux de droits, ignorent même qu’ils conservent la nationalité du pays d’origine des parents (cas des Algériens par exemple). Voilà peut-être de quoi relativiser les polémiques créées autour des « binationaux » et de leur supposée illégitimité ou défaut d’appartenance.

Mustapha Harzoune, 2022