Société et immigration

Y a-t-il un lien entre délinquance et immigration ?

En 2020, la justice a prononcé 469 571 condamnations pour crimes et délits et contraventions de 5e classe dont 82 135 concernaient des étrangers (16%). 186 443 sanctionnaient des infractions à la circulation routière (conduite en état alcoolique ou sans permis), 87 108 pour atteintes aux biens (vols, recels…), 86 808 pour atteintes à la personne, 54 099 pour infractions à la législation sur les stupéfiants et 1 546, le séjour irrégulier des étrangers. Au 1er janvier 2020, 82 260 personnes étaient écrouées dont 65 339 Français et 17 521 étrangers (21,2%)

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L'immigré exhibitionniste, Plantu, 1979 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
L'immigré exhibitionniste, Plantu, 1979 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration

Comparé aux 5,8 % que représentent les étrangers en France, il y a bien une surreprésentation des étrangers dans les actes de délinquance commis et dans le nombre de personnes écrouées. Faut-il pour autant accréditer les thèses qui, non contentes d’établir un lien entre immigration et délinquance, s’appuient sur ces données brutes pour prôner une condamnation sans appel de l’immigration et faire peser l’insécurité - ou le sentiment d’insécurité - sur les seules épaules des immigrés ? Comment, comparé à la population étrangère régulièrement installée en France, expliquer cette surreprésentation ?

Structure de la délinquance et conditions socioéconomiques

Selon l'Institut convergences migrations, affilié au CNRS :  "la part des étrangers dans les condamnations [...] varie selon la nature de l’infraction : 25% pour le travail illégal, 41% pour les faux en écriture publique ou privée, près de 50% des infractions douanières et 78 % pour les infractions relatives à la police des étrangers, c’est-à-dire, pour l’essentiel des infractions liées à la régularité du séjour des étrangers en France" (voir l'article sur le site d'ICM). 

Les infractions où les étrangers sont le plus représentés sont justement ces infractions qui enregistrent les taux les plus élevés d’élucidation par la police et la gendarmerie. 
Nombre de délits constatés sont apparentés à une délinquance dite "de pauvre" et à la dégradation de la situation des quartiers pauvres : il faut alors mesurer la corrélation entre conditions socioéconomiques et type de délits commis.
"Les immigrés (dont les étrangers) et leurs descendants sont surtout présents dans les types de délinquance qui sont typiquement celles des milieux populaires, mais qui sont également les formes de délinquance les plus visibles, les plus simples et donc les plus réprimées par la police et la justice" (Institut convergences migrations).

Surreprésentation : le concours de la méthode

Le calcul de la part des étrangers dans la délinquance additionne tous les étrangers condamnés ou mis en cause, qu’ils soient légalement installés en France, en transit ou sans papiers. Or, seuls les premiers sont comptabilisés dans les 5,8% d’étrangers en France. Un calcul exact de la représentativité des étrangers dans la délinquance ne devrait tenir compte que de la proportion des étrangers légaux par rapport au reste de la population et exclure les étrangers en transit ou en situation irrégulière. Par ailleurs, une même personne peut être interpellée plusieurs fois pour le même délit notamment dans les cas de vols ou de consommation de drogue.

Le poids des discriminations

Les étrangers sont plus souvent contrôlés que le reste de la population. Cette discrimination fausse la représentativité de l’échantillon de la délinquance en France. De nombreux travaux s’efforcent de documenter la plus grande fréquence des contrôles dits "au faciès" (voir l'article en ligne de France inter sur le sujet). Les spécialistes du CNRS, n'hésitent pas à évoquer des "représentations racistes" qui "orientent la vigilance policière, contribuant de fait à la surreprésentation des personnes immigrées et leurs descendants parmi les personnes interpellées et condamnées". Le 22 juillet 2021, Amnesty International et cinq autres organisations saisissaient le Conseil d’État pour dénoncer l’inaction du gouvernement français face au problème généralisé des contrôles d’identité au faciès (en savoir plus). L’objectif ? Contraindre "l’État à enfin agir pour mettre fin à cette discrimination systémique".

Une justice à plusieurs vitesses

Pour des infractions identiques, la justice condamne plus sévèrement des délinquants étrangers que des délinquants français. Ainsi, sont-ils plus souvent placés en détention provisoire ou en garde à vue. Or, pour un même délit, les prévenus qui se présentent libres au tribunal seraient moins durement condamnés.
En 2013, l’étude menée par l’Alliance de Recherche sur les Discriminations (ARDIS)  rapporte "que les personnes nées à l’étranger voyaient multiplier par près de deux les risques d’une comparution immédiate (5,7 % contre 2,9 % de ceux nés en France), par près de cinq fois plus la probabilité d’être placées en détention provisoire" et par huit "la probabilité d’une condamnation à de la prison ferme" (en savoir plus). Cette surreprésentation peut ainsi et sans excès être corrélé au fait que "la carence de preuves d’insertion sociale, professionnelle ou familiale semble jouer en défaveur des étrangers", comme aux chômeurs ou aux SDF…

Les personnes nées à l’étranger sont quant à elles condamnées à raison de plus 1 sur 4  à un emprisonnement ferme contre moins 1 sur 6 nées en France. Elles sont également davantage condamnées à un sursis simple (35,5 % contre 28,9 % des condamnés nés en France). 
Sous-représentés parmi les auteurs d’infractions routières, les prévenus nés à l’étranger sont plus souvent jugés pour des vols simples, d’autres légères atteintes aux biens (dégradations, etc.) et naturellement pour des infractions liées à la situation irrégulière de certains d’entre eux (infractions à la police des étrangers, à la législation du travail, etc.). Le fait qu’ils ne soient pas surreprésentés dans les affaires les plus graves (infractions à caractère sexuel, violences et autres atteintes aux personnes, vols aggravés) démontre qu’il s’agit pour l’essentiel d’une petite délinquance de survie. Ceux-ci cumulent en effet davantage que les natifs les marques du paupérisme (inemploi, ressources très faibles, etc.). 
Incarcérés, les étrangers bénéficient moins des mesures d'aménagement ou de diminution de peine comme le placement à l'extérieur, des peines de semi-liberté ou de libération conditionnelle.

Ainsi les statistiques ne disent rien en soi, si on ne fait pas l’effort d’en préciser dans le détail parfois les éléments constitutifs (quelles infractions, quelle dynamique etc.) et si on omet de les mettre en corrélation avec d’autres éléments, comme ici l’impact des discriminations sur les mécanismes et les destinées judiciaires.

Mustapha Harzoune, 2022