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Terra ferma

L’actualité nous rattrape à Linari, sur l’îlot rocheux de Lampedusa, terre volcanique déjà signalée par les grecs et célébrée avec des accents viscontiens par l’aristocrate décadent Giuseppe Tomasi. Comme si les mondes en perdition choisissaient de s’entrechoquer dans les mêmes décors somptueux et pathétiques.

L’île délabrée, n’avait rien perdu de sa superbe, mais la mer ne nourrissait plus ses hommes. Crevettes, rougets et sardines se faisaient rares. Les règlements de pêche plus tâtillons. Les embarcations accusaient leur âge. Les temps n’étaient plus aux investissements. Les jeunes les plus motivés et les hommes valides émigraient vers le continent. Ne restait qu’une majorité de femmes, d’enfants, de vieillards, et de jeunes glandeurs tout juste capables de faire vrombir leurs deux roues. Le tourisme apporta un palliatif à la misère. La belle saison durait deux mois. La côte s’ourlait de plages paradisiaques où poussaient les parasols et les chaises-longues. Les masures retapées offraient du logement chez l’habitant à l’inconfort typique. Les vieux rafiots proposaient des balades en mer arrosées, épicées et plus si affinités.
On connaît depuis Respiro (2002) le regard ambivalent qu’Emanuele Crialese porte sur ces univers à la fois condamnés et indestructibles, aidé en cela par la vénusienne Valéria Golino, adaptant et mélangeant les plus stupéfiantes des mythologies à la légèreté indélébile des fables.
Alors que le dépérissement de la petite communauté insulaire semble programmé (malaise cardiaque du grand-père -Mimmo Cuticchio-, offre d’indemnisation dérisoire pour cessation d’activités, incitation au dévergondage : bachanales aquatiques, chœurs débiles, topless) l’îlot volcanique allait subir une secousse imprêvue : une histoire d’aujourd’hui mais qui vient de plus loin (Libye, Tunisie, Afrique) vient heurter le littoral de plein fouet et provoquer un nouveau séisme. Des passagers misérables sur des embarcations surchargées. Le radeau de la méduse avec des fugitifs trempés, affamés, effrayés. La police est sur les dents. L’ile n’a plus de capacité d’accueil. Ces pauvres hères vont chasser les touristes et réduire encore les gains.
Il suffira d’une naissance (Sara -Timmit T- a accouché dans l’abordage), pour que Giulietta, femme endurcie (Donatella Finocchiaro) se laisse revisiter par la maternité, quant à Filippo, le fils rebelle, beau comme un faune (Filippo Pucillo), dans un refus homérique, il s’insurgera contre le cours du temps pour que l’humanité bafouée reprenne ses droits.
C’est sans doute un rêve, mais c‘est beau !

André Videau

Date de sortie : 14 mars 2012 (1h 28min)
Réalisé par : Emanuele Crialese
Avec : Filippo Pucillo, Donatella Finocchiaro, Mimmo Cuticchio
Genre : Drame
Nationalité : Français, italien