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Une comédie funèbre

Pour son sixième long métrage, Hiner Saleem nous offre un film elliptique et facétieux qui ne s’embarrasse pas de vraisemblances mais qui, pour notre plaisir, musarde et caracole autour des péripéties de quelques émigrés kurdes dans le Paris du Xe arrondissement.

On ne saura presque rien sur Philippe (Jonathan Zaccai, baroudeur de physionomie et de stature, aux desseins surexposés et aux arrière-pensées opaques – une sorte de Samuel Le Bihan-bis), sinon qu’il sort de prison par une soirée poissée de pluie. Il a retrouvé aussitôt ses habitudes : des petits boulots, un pied à terre que la logeuse lui réserve malgré l’absence et les retards de loyer (Mylène Demongeot, admirable comme à chaque apparition), quelques ballons de rouge au troquet du coin, rue du Faubourg Saint Denis.
On n’en saura guère davantage sur Avdal (Billey Demistas) Kurde d’Irak, lancé sur les traces d’un complice de Saddam Hussein avec une arme à feu et une liasse de billets dans son sac à dos.
Ces deux là n’avaient aucune raison de se rencontrer, sauf peut être le goût des œufs durs sur le zinc et une irascibilité virile et communicative (retenez bien la futilité démonstrative et grosse de conséquences des détails !). Le Kurde ne connaît rien ni personne. Philippe l’héberge provisoirement et lui procure un boulot de dépannage, conforme à sa belle prestance : escort-boy auprès de dames mûres. Il n’ira pas loin dans la "carrière" car à sa première sortie il meurt d’une crise cardiaque dans les transports en commun. Exit Avdal, l’ami inconnu qui semblait bien parti pour jouer un grand second rôle. Le réalisateur adore ces facéties, ces apparitions et ces escamotages qui nous laissent sur le qui-vive.
Voilà Philippe héritier d’un cadavre et d’un devoir moral. Trouver la véritable identité du défunt et lui épargner la fausse commune. Pas d’autre piste que de se plonger dans le quartier kurde de Paris, d’affronter une théorie burlesque de compatriotes, dignes des Dalton ou des Pieds Nikelés. Le film devient un inénarrable oxymore : une comédie funèbre où vont s’affronter faux amis et vrai père dans une ambiance kurde électrique, jusqu’à l’arrivée éblouissante de Siba, la fiancée en veine d’émancipation (Golshifte Farahani, star rebelle du cinéma iranien).
"Quand un Kurde meurt, j’ai envie de pleurer." Quand Hiner Saleem fait un film, on ne retient pas son envie de rire quel que soit le sérieux du propos. Qui est encore capable de traiter de sa propre communauté avec une telle décontraction ? Qu’on se souvienne de Vive la mariée… et la libération du Kurdistan !, Kilomètre zéro ou Vodka Lémon. Avec Si tu meurs, je te tue, le réalisateur, au mieux de sa forme, récidive.

André Videau

Date de sortie cinéma : 23 mars 2011
Réalisé par Hiner Saleem
Avec Jonathan Zaccaï, Golshifteh Farahani, Özz Nüjen
Long-métrage français
Genre : Comédie
Durée : 01h30min
Année de production : 2010
Distributeur : Océan Films