Entretien avec Lahcen Bahassi : les anciens combattants marocains

Entretien réalisé le 23 mars 2009 par Joël Guttmann et Aziz Jouhadi dans le cadre du programme Mémoire de l’immigration en Aquitaine

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Couverture du CD sur les anciens combattants marocains

Lahcen Bahassi est né au Maroc à Khemisset au début des années 20. Il a travaillé dans l’agriculture jusqu’à sa majorité puis il s’est engagé dans l’armée française en 1942. Après avoir été envoyé en Tunisie (1943), il ira en Italie (1944) où il participera à la bataille de Monte Casino, puis à Marseille pour le débarquement. Après la guerre, il sera encore envoyé à Madagascar puis en Indochine.<br />
En 1956 il prend sa retraite militaire et retourne vivre au Maroc où il travaillera dans le commerce jusqu’en 1990, date à laquelle il décide de venir en France pour faire prévaloir ses droits en matière de pension militaire. Il vit depuis à Bordeaux dans un foyer Adoma.

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Entretien avec Lahcen Bahassi - extrait
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Entretien avec Lahcen Bahassi
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Les combattants issus des colonies

Que ce soit pour la Première Guerre mondiale, la Seconde ou encore pour ses guerres coloniales, la France a largement fait appel aux populations des territoires colonisés pour grossir les rangs de l’armée. Ainsi, si on prend les chiffres de la Deuxième Guerre mondiale, 178 000 Africains et Malgaches et 320 000 Maghrébins sont appelés en 1939-1940. Selon les chiffres du sous-secrétariat d’État aux Anciens combattants, 21 500 Africains et Malgaches, et 16 600 Maghrébins sont tués entre 1939 et 1945. Environ 25 000 Africains et Malgaches et 18 000 Algériens sont fait prisonniers et restent bloqués en métropole durant toute la durée de la guerre. Quand la guerre s’achève en Europe, les « troupes indigènes » sont de nouveau appelées pour réprimer les soulèvements de Sétif en Algérie en 1945 puis de Madagascar en 1947. Plus de 60 000 hommes sont recrutés à travers l’AOF et l’AEF pour participer à la guerre que mène la France en Indochine contre le mouvement nationaliste vietminh.
Entre 1954 (Indochine) et 1960 (Afrique sub-saharienne), les indépendances amènent l’État français à progressivement geler (loi de cristallisation) les pensions des tirailleurs de son ex-empire colonial. Dans un tel contexte, pour faire vivre leur famille et compléter une pension et une retraite minimes, des anciens combattants commencent à arriver en France dans les années 70 et 80. Leur combat pour l’égalité est à l’époque peu visible et il faudra attendre 1986 (loi n°86-1025) pour qu’ils puissent bénéficier du titre de séjour de dix ans sur le territoire français. Leurs situations « juridiques » les obligent à rester neuf mois à « minima » sur le sol français pour recevoir le RMI ou le minimum vieillesse. En 1996, soutenu par les associations d’anciens combattants français, Amadou Diop, ancien sergent-chef sénégalais, porte plainte contre l’État français pour avoir perçu seulement le tiers d’une retraite d’un ancien combattant français. Le Conseil d’État lui donne raison en 2001 (à titre posthume) et juge que la loi de cristallisation a créé une situation de discrimination, sur la base de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme. A partir de 2006, un collectif d’associations, relayé par le Conseil Régional d’Aquitaine, s’engage pour l’égalité de tous. La retraite du combattant et les pensions militaires d’invalidité sont “décristallisées’’, suite à l’émotion suscitée par le film Indigènes. Le collectif obtient, en octobre 2008, le « jugement Mechti » auprès du Tribunal administratif de Bordeaux, qui déclare l’égalité des pensions entre les anciens combattants originaires des ex-colonies d’Afrique du Nord et ceux nés en France.

Entretien réalisé le 23 mars 2009 à Bordeaux par Joël Guttmann et Aziz Jouhadi , dans le cadre de la collecte de la mémoire en Aquitaine par le Rahmi et Alifs dans le cadre d’un programme de collecte d’archives orales en Aquitaine qui s’est déroulé de 2007 à 2010. Il est né de la volonté de recueillir la mémoire d’immigrants et de faire de cette mémoire orale une source à part entière de l’histoire et de valoriser l’apport de l’immigration à l’histoire nationale et à la mémoire collective. Afin de rester dans des objectifs réalistes, ce programme s’est constitué autour quatre projets liés à quatre communautés de migrants : espagnols, portugais, sénégalais et marocains. Il est apparu très vite qu’il était important de choisir une thématique transversale pour les quatre groupes afin, notamment, de sortir de l’écueil d’une histoire qui ne reflèterait que le point de vue d'une seule communauté. La thématique retenue a été celle de l’engagement. Pour les Marocains, l’engagement dans les guerres de la France.
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