La sélection du Prix littéraire de la Porte Dorée 2012

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Zone de choc de Pierre Conesa
Zone de choc, Pierre Conesa (L’Aube)

Après la mort de son père, dont il se sent coupable, Farid décide de gagner sa vie honnêtement en vendant des légumes au marché. Un matin, il se rend donc au Centre administratif de Garrons-lès-Gonesse pour obtenir les papiers nécessaires, un monde dont le langage lui est complètement étranger. Il croise là une mère africaine, un harki, un musulman intégriste accompagné de sa femme en burqua…, tous en quête de sésames inaccessibles, et même un étudiant à Sciences Po qui prépare une thèse sur "l’acculturation et la notion de service public". Mais le bris d’une porte vitrée va provoquer la fermeture du Centre, on croit à une prise d’otages, les médias se déchaînent et l’affaire est amplifiée par la période électorale et la rivalité entre le ministre de l’Intérieur et celui de la Défense.

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Je ne suis pas celle que je suis, Chahdortt Djavann
Je ne suis pas celle que je suis, Chahdortt Djavann (Flammarion)

Un roman, deux histoires : l'une se passe à Paris en 1994, l'autre en Iran en 1990. Au centre, une seule femme. Côté parisien, une jeune Iranienne tout juste rescapée d'une tentative de suicide commence une psychanalyse. Alors qu'elle vit enfin à Paris, ville dont elle a tant rêvé, ses séances chez le psy sont hantées par la figure d'un père aussi violent que fascinant. Côté iranien, du golfe Persique à Téhéran en passant par Istanbul et Dubaï, on suit les démêlés amoureux et les révoltes de Donya, étudiante au pays des mollahs après la mort de Khomeiny. Souffrant d'être une femme dans un régime théocratique et totalitaire, elle ne pense qu'à s'exiler. Ce roman se termine sur une sorte d'apaisement dû au cheminement de l'analyse et à la conquête de la langue française, mais "ce livre est le premier volume d'une histoire à suivre", prévient Chahdortt Djavann.
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Un sujet français, Ali Magoudi
Un sujet français, Ali Magoudi (Albin Michel)

En écrivant Un sujet français, Ali Magoudi, psychanalyste et écrivain, a réalisé le souhait de son père qui lui disait : "Ma vie est un véritable roman. Quand tu seras grand, je te la raconterai et tu l’écriras". Mais Abdelkader Magoudi n’a rien raconté à son fils. Alors, comment éclairer toutes les zones d'ombre de son existence, trente ans après sa mort ? Pourquoi, né en 1903 à Tiaret, a-t-il quitté l’Algérie ? Et que faisait-il en Pologne en 1942, quand il a rencontré la mère d'Ali, une jeune Polonaise catholique de Varsovie? Comme les archives familiales se limitent au contenu d'une boîte à chaussures, Ali Magoudi se lance dans une enquête quasi policière, mais totalement obsessionnelle, faisant partager à son lecteur ses égarements et ses craintes, comme ses propres voyages en Pologne et en Algérie. Une enquête inscrite dans l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, à l'époque où les Algériens étaient des "sujets français de droit local".
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Une étoile aux cheveux noirs, Ahmed Kalouaz
Une étoile aux cheveux noirs, Ahmed Kalouaz (Le Rouergue)

Aux portes de l'automne, un homme entreprend un lent voyage vers sa mère. Elle a 84 ans, vit depuis quarante ans au huitième étage d'une cité de Grenoble dont elle va devoir partir. La barre est sur le point d'être détruite et elle ne se résout pas à abandonner ses souvenirs et ses fantômes, dans cet appartement où elle a élevé ses quatorze enfants. Lui doit parcourir mille kilomètres, depuis la Bretagne où il s'est installé. Ces mille kilomètres, il a choisi de les faire sur la vieille Motobécane bleue de son père ajourd hui décédé, celle-là même que ce dernier prenait chaque matin pour rejoindre ses chantiers. Avec le narrateur, on embarque donc pour une traversée en diagonale de cette France dont il aime tant la langue, les luttes et les espérances. Morhihan, Touraine, Puy-de-Dôme... Il y croise au bord des routes des gens ordinaires, avec qui il échange des mots, un verre. Mille kilomètres à vitesse lente, comme s'écrivent les poèmes, pour mieux retrouver cette femme qui a passé toute sa vie confinée dans les tâches ménagères, depuis sa jeunesse d'orpheline employée dès l'enfance dans les maisons de colons d'Algérie.
Ahmed Kalouaz fixe son regard et sa mémoire sur cette mère exilée d'Algérie, arrivée en France dans les années 50. Cette femme qui connut les masures sans confort, la peur et le racisme, la soumission, et qui s'est aujourd'hui réfugiée dans la religion. [présentation de l’éditeur]

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Une enfant de Poto-Poto, Henri Lopes
Une enfant de Poto-Poto, Henri Lopes ("Continents noirs", Gallimard)

Le 15 août 1960, à Brazzaville, on fête l'indépendance. C’est "la nuit des espoirs. Des espoirs insensés, soupiraient les parents". Kimia, la narratrice, a dix-huit ans, son amie Pélagie "un peu plus". Elles fréquentent le même lycée, où leur amitié se teinte de rivalité et de jalousie. Leur professeur de lettres, Franceschini, les fascine. Ce Moundélé, comme on appelle les Blancs, danse comme un Noir et parle "en langue". Après les "Trois Glorieuses" d'août 1963, les dirigeants troquent les vêtements de la sape contre le battle dress, et "même la rumba se dansa sur un rythme révolutionnaire". Kimia part pour les Etats-Unis où elle devient écrivain, Pélagie rejoint Franceschini à Paris, mais ces trois-là resteront unis.
Leur histoire, Kimia rêvait déjà de l'écrire quand elle vivait encore au Congo : "une éducation sentimentale écrite avec l'accent de chez nous". Ce double féminin d'Henri Lopes ajoute : "Je vis à l'étranger, mais la substance de mes romans est une pâte extraite de la terre africaine".

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Les sauvages, Sabri Louatah
Les Sauvages, Sabri Louatah (Flammarion)

Le 5 mai, à la veille du second tour de l’élection présidentielle qui oppose Idder Chaouch, d’origine algérienne, à Nicolas Sarkozy, la famille Nerrouche est réunie à Saint-Etienne pour fêter le mariage de Slim et de Kenza Zerbi. Tous souhaitent la victoire de Chaouch, le candidat socialiste qu’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) traite de "chien de traître qui a renié l’islam et qui mérite la mort". L'atmosphère est à la fois affectueuse et tendue, on parle fort, des voitures s'échappent des youyous et des chansons kabyles à plein volume. La part belle est faite aux femmes, qui échangent souvenirs et anecdotes, et s'inquiètent pour l’avenir des plus jeunes. Mais il suffit de prononcer le nom de Nazir, le frère du marié, pour que le malaise s’installe. Depuis son retour d’un long voyage à l’étranger, on ne sait pas ce qu’il trafique. Resté à Paris, il bombarde son jeune cousin Krim de SMS. Le suspense monte en puissance, et ce n’est qu’un début. Cette saga familiale liée au destin national doit courir sur 4 tomes.
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Rue Darwin, Boualem Sansal
Rue Darwin, Boualem Sansal (Gallimard)

Quand sa mère meurt dans un hôpital parisien, entourée de tous ses enfants accourus des quatre coins du monde (sauf un, qui a viré islamiste), Yazid, le fils aîné, entend comme une voix venue de l'au-delà qui lui souffle : "Va, retourne à la rue Darwin". C'est la rue de son enfance, dans le quartier populaire de Belcourt à Alger. Dans une sorte de "fantastique familial", Yazid, le "dernier vivant de l'antique tribu", va remonter le temps, tenter de démêler le nœud des origines et le vrai du faux. Il évoque le royaume où il est né et dont sa grand-mère, la fabuleuse Lalla Sadia, était la reine du temps de la société coloniale. Mais c'est rue Darwin qu'il a vécu après ses huit ans, débarquant dans la capitale en 1957, en pleine bataille d'Alger. Dans ce récit où se mêlent fiction et histoire personnelle, Boualem Sansal brosse un portrait amer de l'Algérie. La guerre d'indépendance, le FLN, les nationalistes, les imams, Boumediene..., rien n'échappe à sa verve et à son entreprise de désacralisation.
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Allée 7, rangée 8, Sophie Schulze
Allée 7, rangée 38, Sophie Schulze (Léo Scheer)

Ce premier roman entrelace l’existence de Walter, jeune Allemand immigré en France au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’exil et l’engagement de Hannah Arendt, quelques pages et figures de la philosophie allemande – Kant, Nietzsche, Heidegger – et le cheminement de l’idée européenne portée ici par Husserl et l’homme politique français Robert Schuman. La fragilité des destins individuels est incarnée par Walter et Alice, Alsacienne qui doit se passer du consentement parental pour épouser cet Allemand naturalisé français après avoir servi dix ans dans la Légion étrangère. Tandis que le couple devient une petite famille, les cahots de l’histoire rudoient les corps et les âmes, mais les philosophes continuent de penser.
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Assommons les pauvres !, Shumona Sinha
Assommons les pauvres !, Shumona Sinha (L'Olivier)                

Le temps d'une nuit passée au commissariat pour avoir fracassé une bouteille de vin sur la tête d'un immigré, une jeune femme cherche à comprendre les raisons de son geste. Interprète auprès des demandeurs d'asile originaires, comme elle, du sous-continent indien, elle ne supporte plus son métier. Avec un "officier de protection", elle doit établir les dossiers des requérants, recueillir leur récit et en garantir l'authenticité. Un travail à devenir fou parce que la vérité ne suffit pas. Ni la misère, ni "la nature vengeresse" ne sont des motifs recevables pour justifier l'asile politique. Il faut de plus "nobles" causes, politiques ou religieuses. Les migrants doivent donc "désapprendre la vérité et en inventer une nouvelle. Les contes des peuples migrateurs". Des contes achetés aux passeurs en même temps que le trajet et le passeport. Alors ils s'embrouillent et, malgré leur détresse, provoquent fous rires ou exaspération. Loin du politiquement correct, un texte frissonnant de rage et foisonnant d'images sur l'immigration indienne.
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Unité de vie, Fabienne Swiatly
Unité de vie, Fabienne Swiatly (La fosse aux ours)

"Qu'est-ce que tu me racontes de beau aujourd'hui ?" demande à sa belle-fille une vieille dame atteinte de la maladie d'Alzheimer. Fabienne Swiatly raconte les visites dans un établissement médicalisé, l'énergie qu'il faut emmagasiner avant, le besoin vital de remettre le monde en mouvement après. La belle-fille, réfugiée bosniaque, a aussi des problèmes avec sa mémoire. Elle se plaint qu'on ne l'interroge jamais sur la guerre de l'ex-Yougoslavie, guerre que les Français trouvent si complexe et déjà si lointaine. Mais comment pourrait-elle parler de son pays alors qu’elle a laissé dans la forêt de Visegrad sa mère, son père et son frère ? Photographe professionnelle, elle feuillette les albums de famille et parle de ses propres photos avec la vieille dame, mais laisse celles de ses parents perdus enfermées dans une enveloppe. Dans ce lieu aseptisé, deux exils face à face, mais ces deux femmes n’ont jamais été aussi proches.
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A défaut d'Amérique, Carole Zalberg
A défaut d'Amérique, Carole Zalberg (Actes Sud)

A l'enterrement d'Adèle, Fleur, arrière-petite-fille de la défunte, et Suzan l'Américaine se croisent sans se parler : elles ne se connaissent pas. Au fil des pages, leurs voix vont pourtant se faire écho d'une rive à l'autre de l'Atlantique. Acceptant enfin de regarder "le chemin de ces femmes auxquelles [elle a] tremblé de ressembler", Fleur a besoin de reconstruire le parcours de son aïeule, arrivée de Varsovie le 11 novembre 1918 dans une France en liesse. Adèle, petite fille juive, a grandi dans le quartier du Marais à Paris, puis elle a construit une famille, passant des espoirs du Front populaire aux tourments de la Deuxième Guerre. Adèle n'est qu'un amour de jeunesse du père de Suzan, soldat américain dans le Paris libéré. Ils se retrouveront à la fin de leur vie. Le court séjour de la Française aux Etats-Unis provoque chez Suzan une prise de conscience douloureuse : comme sa propre mère, elle est passée de "l'incandescence à la résignation". En quelque 200 pages portées par le style de Carole Zalberg, les fantômes sont apaisés, les nœuds dénoués.