Chronique cinéma

Djinns

Film français de Sandra et Hugues Martin

Le bruit qui court a souvent accrédité l’opinion selon laquelle il y aurait peu de films, de réalité ou de fiction, traitant de la guerre d’Algérie, côté français comme côté algérien et cela en raison de crises de conscience toujours à vif. On a eu plusieurs fois l’occasion, preuves à l’appui, de relativiser cette affirmation. Les auteurs du film Djinns, Sandra et Hugues Martin, qui ont choisi de recourir au fantastique par la présence, pourtant très épisodique, de créatures surnaturelles – les djinns –, souhaitaient s’inscrire dans une autre logique. L’Algérie ne faisant plus recette, passé et présent confondus, mieux vaut brouiller les pistes et attirer l’attention sur le paranormal, quitte à faire reposer la renommée du film sur un malentendu et à se tromper de cible. Tout commence par l’histoire très plausible d’une section de paras sous les ordres du lieutenant Durieux (Stéphane Debac) et de l’adjudant Vacard (le solide Thierry Frémont). On est en 1960, dans les zones désertiques du Sud saharien où un avion s’est écrasé. Voilà l’épave. Huit cadavres en putréfaction dans une odeur pestilentielle. Et, heureusement intacte, une mallette métallique marquée “secret défense”. L’objet suscite sans doute encore bien des convoitises car des rafales d’armes lourdes crépitent. Les fellaghas tiennent les bosquets d’épineux au-delà des dunes et obligent à un repli vers une citadelle endommagée en partie vidée de ses habitants. Vont s’ensuivre des scènes de guerre ordinaire : rivalités brutales entre les hommes aux tempéraments exacerbés par la violence – Aurélien Wiik, Cyril Raffaelli, Matthias Van Khache –, capture et torture des rebelles (avec un Saïd Taghmaoui au regard de silex, ennemi inflexible de la puissance coloniale pour laquelle il a combattu), populations terrorisées et malmenées, enfants voués aux renseignements... À quoi s’ajoute le déchaînement des éléments naturels : la chaleur torride, l’aveuglante tempête de sable, l’invasion des scorpions... La guerre a surgi dans son horreur et sa vérité. C’est aussi, contre toute attente, la partie la plus convaincante et la plus réussie du film. Pas besoin de convoquer la magie, les légendes archaïques, et les créatures maléfiques ou limitrophes pour renforcer l’allégorie. Aidés de la gardienne du village (Raouia Harandi, comédienne marocaine à la voix sidérante) et du gentil Grégoire Leprince-Ringuet, photographe aux armées, innocents par excellence mais témoins indispensables, les autochtones se débarrasseront des envahisseurs. On avait bien compris. La guerre d’Algérie a eu lieu. Pas seulement sur le mode virtuel.