Parcours

2"Anarchiste surveillé" dans le labyrinthe parisien

(1900-1906)

Première partie

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Slide Picasso 1

Picasso, jeune peintre espagnol, débarque à Paris pour l’Exposition universelle de 1900, où l’une de ses œuvres est présentée. Comme le révèlent ses vues des villes de Malaga, La Corogne, Madrid et Barcelone où il vécut, il est riche de ses multiples cultures espagnoles : andalouse, galicienne, castillane, catalane. Paris se présente alors à lui comme un labyrinthe opaque dont il ne connaît ni la langue ni les codes.
À force de persévérance, à l’issue de quatre voyages successifs en quatre ans, épaulé par des artistes catalans, il retrouve la métropole qui le fascine. Il y construit peu à peu un réseau d’amis tout aussi marginaux que lui. À cette époque, dans ses œuvres, il représente les bas-fonds de Paris : aveugles désorientés, femmes isolées et abattues, buveuses d’absinthe égarées, prostituées au bonnet avant de s’intéresser au monde du cirque et à une cohorte de gens du voyage tristes, fatigués, mélancoliques ou blêmes.

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Pablo Picasso et Carlos Casagemas, Lettres aux Reventos
Pablo Picasso et Carlos Casagemas, Lettres aux Reventos. 25 octobre 1900, Dr Jacint Reventos i Conti Collection / ou Fondacio Picasso- Reventos (Barcelone). En dépôt au Musée Picasso Barcelone © Succession Picasso 2021.

1900 : 1er voyage - L'exposition universelle

Quelques jours avant son dix-neuvième anniversaire, guidé par son ami Carles Casagemas, Picasso rejoint la colonie catalane de Paris. Ses lettres dévoilent un génie en marche, avide de sillonner musées et galeries d’art, fasciné par la métropole ultramoderne avec trottoir roulant, lumières électriques et première ligne de Métropolitain. Mais sur la Butte Montmartre encore éclairée aux becs de gaz, les jeunes artistes sont en contact avec les « Apaches », réfugiés dans les quartiers excentrés. Dans cette ville triomphante, Picasso pénètre par la porte de service, et cette confrontation aura encore pour lui pendant quelques années le goût amer d’un rendez-vous manqué.

1901 : 2ème voyage - L'exposition Galerie Vollard

À l’invitation de Pere Mañach, qui organise pour lui une exposition à la galerie Ambroise Vollard, Picasso revient de Barcelone le 2 mai 1901 et habite chez Mañach 130 ter, boulevard de Clichy. De ses 64 œuvres produites en un temps record, surgissent des personnages chavirés aux couleurs violentes. Le 17 juin, le critique d’art Gustave Coquiot célèbre ce « très jeune peintre espagnol », annonçant que « demain, on fera fête aux œuvres de Pablo Ruiz Picasso ».
Le lendemain, le commissaire Rouquier produit le premier rapport de police sur l’artiste. Tout en citant le texte élogieux de Coquiot, il y intègre les ragots des indicateurs postés à Montmartre, utilise les thèmes de Picasso comme pièces à charge contre lui, en imposant une déduction perverse et fausse. De ce qui précède, il résulte que « Picasso partage les idées de son compatriote qui lui donne asile », écrit-il. « En conséquence, il y a lieu de le considérer comme anarchiste ». Désormais, la communauté catalane qui avait généreusement accueilli Picasso à Paris va, aux yeux de la police, le marquer de manière indélébile pendant 40 ans.

1902-1903 : 3ème voyage - La période galère

Sans conteste, le troisième voyage de Picasso à Paris (octobre 1902 - janvier 1903), en compagnie de ses amis catalans Julio González et Josep Rocarol, est pour lui le plus douloureux et le plus sinistre. Il erre sur la rive gauche, entre chambres d’hôtel (hôtel des Écoles, hôtel du Maroc), incapable de payer son loyer mais propose dessins et tableaux qui rendent compte du monde des bas-fonds, de la misère et de la prostitution. Certains d’entre eux présentés à la galerie Berthe Weill signalent, selon le critique Charles Morice, la « tristesse stérile qui pèse sur l’œuvre de ce jeune homme ». La présence bienfaisante de son premier ami français, le poète Max Jacob, l’aide à se familiariser avec la langue et à supporter ces moments parfaitement glauques.

1904 : 4ème voyage - Le bateau-Lavoir

Picasso prend des distances avec la colonie catalane lors de son quatrième voyage à Paris. Il s’installe 13 rue Ravignan, au « Bateau-Lavoir », symbole de l’habitat bohème de la Butte. C’est une « construction en moellons, bois et plâtras », assemblée à la va-vite avec des planches et des vitres dans le dénivelé d’une colline. Avec un point d’eau pour une trentaine d’ateliers, brûlant l’été, glacial l’hiver, ce lieu respire l’indigence. Picasso y vit et travaille d’avril 1904 à septembre 1909. En 1905, la rencontre avec le poète et critique Guillaume Apollinaire qui célèbre son talent, réconforte Picasso, l’aiguillonne, l’enhardit.

1906 : Le séjour à Gosol

Durant l’été 1906, Picasso passe soixante jours à Gosol, un village des Pyrénées catalanes, uniquement accessible après un voyage de 18 km à dos de mulet. Là, logé chez Pep Fontdevila, aubergiste et contrebandier nonagénaire, dans un territoire où la police n’est jamais entrée, il trouve un nouvel essor et travaille d’arrachepied. Progressivement, non loin de la Vierge romane du XIIe siècle de l’Eglise locale, son travail se transforme : grâce à la « solution du masque », il s’éloigne de la « représentation » laissant la place à l’archétype, à l’icône. Le séjour à Gósol est incontestablement le déclencheur des années héroïques de la période cubiste (1907-1914).