Dans la tête de

Gaëlle Bourges : « J'écris parce que je danse »

En revisitant des œuvres ou des moments de l’histoire de l’art, la chorégraphe et danseuse Gaëlle Bourges donne corps aux figures oubliées de cette histoire. Du 3 au 5 février, pour l’Envers du décor, elle invite à une lecture dansée et critique des fresques coloniales du Palais, avec La salle des fêtes avec Abigail Fowler et Stéphane Monteiro.

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Gaëlle Bourges
Gaëlle Bourges
© Marc Blanchet
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(La bande à) Laura
(La bande à) Laura
© Danielle Voirin

En 2021, dans (La bande à) LAURA, présentée au Palais, Gaëlle Bourges recréait l’Olympia de Manet, extirpant de l’oubli les deux modèles, la blanche et la noire, du célèbre tableau. En février prochain, la chorégraphe et danseuse revient pour explorer à nouveau les silences et les omissions de l’histoire. L’Envers du décor invite chaque année des artistes à revisiter les espaces du Palais. Gaëlle Bourges et deux de ses comparses y proposeront une performance inédite dans le Forum. Sur les murs de cette ancienne salle des fêtes, des fresques colorées racontent l’apport de la France aux colonies. C’est ici que l’artiste proposera sa lecture dansée, critique et documentée des scènes peintes par Pierre Ducos de la Haille.

Une révision de l'histoire de l'art

Gaëlle Bourges a fait de la révision de l’histoire de l’art sa marque de fabrique, avec autant de rigueur sur le fond que de fantaisie et d’humour dans la mise en scène. « Je mets en scène des corps qui font naître des images et qui dialoguent avec des textes que j’écris, pour réinscrire ces images dans leur époque et voir ce qu’elles racontent de nous aujourd’hui », résume-t-elle.

Avec (La Bande à) LAURA, elle proposait une réflexion sur la place des modèles dits « noirs » dans l’art occidental, ainsi que sur celle des femmes artistes. Gaëlle Bourges a aussi réhabilité les travailleuses du sexe (Vider Vénus), traité de la virginité féminine en revisitant la tapisserie de La dame à la licorne (À mon seul désir), révélé le vol des frises du Parthénon par un lord anglais (OVTR - ON VA TOUT RENDRE). Comme tous les enfants, elle détestait l’injustice. Des décennies plus tard, elle ne s’y résigne toujours pas. Et travaille donc pour « mettre des mots qui réparent des injustices », de la domination des hommes sur le corps des femmes à celle des puissances coloniales sur l’histoire de l’art.

Des productions autobiographiques

L’artiste injecte souvent de l’autobiographie dans ses productions. Pour Austerlitz, son prochain spectacle inspiré d’un livre de l’allemand W. G. Sebald, elle a imaginé une « autobiographie collective ». Avec sept artistes qui travaillent régulièrement à ses côtés, l’équipe a interrogé « les figures familiales ou tutélaires qui nous ont inspirés et qui parfois nous rapprochent ». Au Palais, pour faire parler les fresques du Forum, Gaëlle Bourges et deux comparses de longue date - le musicien et ingénieur du son Stéphane Monteiro et la créatrice lumière Abigail Fowler - ont interrogé leurs parents. « Nos trois histoires familiales ont à voir avec la colonisation, explique la chorégraphe. Qui a perçu combien cette histoire aujourd’hui encore « ne se racontait pas », même dans des familles qui n’ont pas vécu de « drames ».

Rarement chorégraphe aura autant parlé de mots

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OVTR - On va tout rendre
OVTR (On Va Tout Rendre)
© Danielle Voirin

Comme à son habitude, Gaëlle Bourges lit beaucoup, pour préparer ce spectacle. D’ailleurs, le site internet de son association Os, propose pas moins de douze pages de bibliographie autour de ses créations : des ouvrages historiques, des essais, des poèmes et aussi des films. « Une partie de ce que j’expose dans mes spectacles est scientifique, rigoureux, documenté », insiste-t-elle. Classe préparatoire littéraire, maîtrise en arts du spectacle, formation en éducation somatique et bien sûr la danse, pratiquée depuis ses cinq ans : son cursus associe le verbe et le corps. Rarement chorégraphe, car c’est bien ainsi qu’elle se définit, aura autant parlé de mots. « La danse est une sorte de lit secret pour les mots. » Produire des textes seuls est pourtant inenvisageable, précise-t-elle. « Je ne me sens légitime à écrire que parce que je danse ! »

Retrouvez l'installation La salle des fêtes par Gaëlle Bourges, Abigail Fowler et Stéphane Monteiro du 3 au 5 février 2023 au Palais de la Porte Dorée.