Economie et immigration

Les immigrés créent-ils des entreprises ?

Dans certains secteurs comme celui du bâtiment, de la confection et du commerce de proximité, la présence des immigrés travailleurs indépendants est déjà ancienne et visible dans l’ensemble du paysage urbain français. Mais pour les travailleurs immigrés ayant exercé majoritairement des emplois non qualifiés dans l’industrie, puis dans le tertiaire, les chances de mobilité professionnelle sont restées souvent très limitées. La création d’entreprise est alors apparue comme une sortie possible de la catégorie la moins qualifiée et la moins rémunératrice du salariat.

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Ancrages, une série de portraits photographiques d'Ahmet Sel
Sezer (53 ans) et Nihal Kimyon (41 ans) sont originaires de Samandağ, une bourgade près de Hatay, une ville du sud-est de la Turquie. Ancien étudiant en sciences sociales et administration, militant de gauche, Sezer est arrivé en France en 1981, comme réfugié politique. Nihal, fonctionnaire en Turquie, a rencontré Sezer lors d'une visite chez sa sœur à Paris. Elle a démissionné, ils se sont mariés, ont un fils et possèdent un restaurant à Belleville où ils viennent d'acquérir un nouveau local.
Ahmet Sel, série Ancrages, 2007, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv 2021.16.6

Qui sont les immigrés qui créent des entreprises ?

Le nombre des entrepreneurs français par acquisition de la nationalité et surtout étrangers est en augmentation constante depuis deux décennies. Ce sont souvent des anciens salariés immigrés qui sont passés à une activité indépendante sur des tâches à faible valeur ajoutée et nécessitant des investissements peu coûteux, pour répondre aux besoins de sous-traitance des entreprises. L’Insee constate que les ouvriers et employés immigrés sont plus performants que le reste de la population active de cette même catégorie d’emploi pour créer leur propre activité économique (4,6 % des ouvriers et employés de 1990 sont devenus indépendants en 1999 contre 3,6 % des ouvriers et employés non immigrés). 
Les jeunes d’origine étrangère, ayant suivi des formations diplomates et qualifiantes, sont également de plus en plus nombreux à se lancer dans la création d’entreprises, en France ou dans le pays d’origine de leurs parents. Ce choix apparaît comme une stratégie d’insertion professionnelle face aux discriminations raciales dont ils font l’objet dans l’accès à l’emploi salarié.
Selon une étude établie par Legalstart en 2021 à partir de sa base de données (plus de 200 000 entrepreneurs), les étrangers participent à 15% dans la création d’entreprises en France, dont 11% de non-européens. Parmi les nationalités les plus actives figurent les Algériens (9%), les Marocains (8%), les Tunisiens (7%) devant les Portugais (5%) et les Italiens (4%). Les départements où ces créateurs étrangers sont le plus élevés sont Paris (19%), la Seine-Saint-Denis (5%) et les Hauts de seine (5%). Les créateurs étrangers sont 19% à investir dans le BTP (pour 6% des créateurs français), 14% dans les transports/livraisons/véhicules (pour 10% des entrepreneurs français), 8% dans la vente/Commerce/E-Commerce (pour 12%) ou 4% dans l’internet/Informatique (pour 9%). Ces données confirment que les étrangers et les immigrés participent du dynamisme de l’économie française. Confrontés à la complexité du système juridique français et l’instabilité des secteurs d’activités plébiscités, les créateurs d’entreprises étrangers démarrent prudemment. Ainsi préfèrent-ils créer des entreprises à responsabilité limitée, moins risquées et qui ont vocation à croître. Pour Timothée Rambaud, co-fondateur de Legalstart « Alors que des élections approchent, cette étude révèle une donnée significative de l’apport des étrangers à l’économie française. Loin des clichés nous souhaitons mettre en avant ces entrepreneurs qui osent se lancent et génèrent des emplois » (Entreprendre, 1er juillet 2021).
Si les créateurs d’entreprises sont encore et essentiellement des hommes, les femmes immigrées créent de plus en plus d’activités sociales et culturelles, principalement dans le secteur associatif.
 

De la « niche économique » à l’économie nationale et internationale 

Les immigrés créent des entreprises dans des niches économiques correspondant à leurs besoins (commerces d’alimentation, restauration, habillement, etc.) grâce à leurs réseaux internationaux d’échanges, d’entraide et de financement. Il s’agit notamment des populations chinoises et indiennes et, dans une certaine mesure, de la population turque.  Ces commerces et entreprises reposent sur les ressources ethniques de chaque communauté tout en participant de l’économie nationale et aujourd’hui mondialisée, à l’instar des Mohed Altrad, PDG d'Altrad, et président du Montpellier Hérault Rugby ; Fatiha Gas, directrice de l'ESIEA Paris jusqu’en 2018 ; Héritier Luwawa Nzinga, patron de Be Eco Services, Abdelkrim Benamar, ci-devant vice-président d'Alcatel-Lucent et aujourd’hui consultant en management ; Mourad Boudjellal fondateur et ancien PDG de la maison d'éditions de bande dessinée Soleil Productions, aujourd’hui actionnaire majoritaire du Rugby Club Toulonnais et du club de football du Hyères FC, Arezki Idjerouidene décédé en 2016 deux ans avant le dépôt de bilan de la compagnie Aigle-Azur ou encore Fati Mrani qui crée en 2016 à 24 ans Avekapeti, le 1er service de livraison 0 déchet avec des repas 100% fait maison préparés avec des produits frais et de saison et à petits prix.
 

Mustapha Harzoune, 2022