Les migrations

Y a-t-il de nouvelles formes de migrations ? (logiques collectives)

Plusieurs éléments peuvent être à l’origine de (nouvelles) migrations : les contextes socio-économiques et bien sûr politiques des pays de départ et des pays d’arrivée, les fractures démographiques et économiques entre pays et continents, les écarts entre les niveaux de développement humain (espérance de vie, niveau d’éducation, niveau de vie), la mondialisation qui multiplie échanges et rencontres, bouscule les espaces et les imaginaires, les (re)configurations géopolitiques, régionales, les nouvelles zones de conflits, les bouleversements environnementaux, les changements climatiques ou encore les évolutions des cadres juridiques (législation en matière d’accueil et de séjour, délivrance de visa…), sans oublier la situation et les aspirations individuelles, à commencer par celles des femmes. 

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Bouchra Khalili, Mapping Journey #2. 2008 . Video,  3 mn. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration © ADAGP, Paris 2011
Bouchra Khalili, Mapping Journey #2. 2008 . Vidéo,  3 mn. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration © ADAGP, Paris 2011 

Besoins économiques et démographiques

Globalement, populations et pauvreté se trouvent dans les 175 pays en développement quand 25 pays développés concentrent l’essentiel de la richesse mondiale - et de sa production. Cette situation, qui devrait conduire à repenser l’ordre économique mondial, forme et formera un des ressorts des dynamiques migratoires à venir.
Si dans les sociétés européennes vieillissantes, l’immigration ne contribuera qu’à la marge à maintenir le niveau de la population active, elle constituera, pour certaines et pour un temps, le seul facteur de croissance démographique. Pour enrayer les pénuries de main d’œuvre, alimenter la croissance et la compétitivité de secteurs entiers de l’économie c’est à une immigration jeune, féminisée, qualifiée, hautement qualifiée même, que les pays de l’OCDE feront appel. Cela coïncide avec les évolutions sociologiques de plusieurs pays de départ, où les candidats à l’émigration sont majoritairement des urbains, scolarisés et où la proportion de femmes est croissante. Pour autant, les besoins en une immigration moins qualifiée demeurent comme le montrent la crise sanitaire du Covid et les pénuries de main d’œuvre dans les secteurs du bâtiment, de la restauration ou de l’industrie.
A contrario, les perspectives professionnelles, la volonté d’échapper aux blocages socio-économiques ou aux discriminations, et depuis quelques années aux effets de la crise, conduisent de plus en plus de jeunes diplômés européens et notamment français à… s’expatrier. Plus question ici d’immigrés mais d’expatriés.
 

Diversification

Si l’histoire coloniale continue de marquer de son empreinte la structure démographique des migrations en Europe, avec la mondialisation, c’est-à-dire une plus forte mobilité et une multiplication des échanges, les migrations internationales tendent à se diversifier, empruntant de nouvelles voies, s’orientant vers de nouvelles destinations. Ainsi, Sri Lankais, Pakistanais et Tchétchènes sont arrivés en France ; Roumains, Polonais, Albanais et Philippins en Italie ; Ukrainiens en Espagne et au Portugal, Chinois en Afrique... Des Britanniques se sont expatriés sous le soleil de France, d’Espagne ou du Portugal, et si 83% des émigrés algériens résident en France, l’espace migratoire des Algériens tend à s’élargir vers d’autres pays européens ou vers le continent nord-américain. Les migrations se mondialisent et si « seulement » 3,5 % des terriens ont chaussés des « semelles de vent », ils viennent et se déplacent, à des échelles diverses, de partout. 
Ainsi, de nouvelles destinations sont apparues : pays du Golfe, continent africain, notamment avec les migrations chinoises, continent asiatique, et même vers d’anciens pays d’émigration devenus terre d’accueil ou de transit : Portugal, Espagne ou encore le Mexique et la Turquie, le Maroc ou l’Algérie. Cinq nouveaux pays dénommés les « BRICS » s’affirment comme pôle d’attraction : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. 
Les migrations se mondialisent. Elles peuvent aussi se dérouler dans le cadre des limites nationales, ainsi des déplacements des « mingongs » ou migrants chinois en Chine, autour de deux cent cinquante millions, dont la moitié sont des sans-papiers chez eux. 
Déterminées par plusieurs facteurs (proximité géographique, historique, culturelle, complémentarités, réseaux migratoires existants…), les migrations se développent aussi à l’échelle régionale : Amérique latine et Caraïbes vers les USA, flux migratoires en Amérique du Sud ; espace euro-méditerranéen, Russie avec l’Ouzbékistan, le Kazakhstan ou les populations chinoises de la frontière orientale, etc.
 

Migrations et environnement

D’autres mouvements de populations sont apparus : il s’agit des "déplacés", des "réfugiés" ou des "migrants" climatiques et/ou environnementaux. La pluralité des termes traduit le vide juridique concernant cette nouvelle catégorie de migrants. De même les débats sur les ordres de grandeur des prévisions et la diversité des situations : déplacement à l’intérieur d’un même pays ou à cheval sur plusieurs ; dégradations progressives ou brutales de l’environnement ; changements climatiques, inondations, tsunami, désertification ou déforestation mais aussi déchets nucléaires, rupture de barrages ou catastrophes industrielles. 
Le rapport mondial sur le déplacement interne 2020 du Centre de surveillance des déplacements internes estime que les catastrophes naturelles ont provoqué le déplacement de 25 millions de personnes pour la seule année 2019. « Depuis 2012, c’est le chiffre le plus élevé qui a été enregistré et c’est trois fois plus que les déplacements causés par les conflits et la violence ».
En 2021, la Banque mondiale estimait qu’à l’horizon 2050 les « déplacés » climatiques pourraient atteindre les 216 millions, soit 60 millions de plus que les prévisions des années 2018 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat).
Selon les experts, ces nouvelles migrations forcées devraient se situer à l’échelle des régions ou des pays concernés et ce, conformément aux tendances actuelles des migrations internes et du fait de la pauvreté des populations concernées. 
Pour Kanta Kumari Rigaud, auteur du rapport de la Banque mondiale : « Si les pays commencent dès maintenant à réduire les gaz à effet de serre, à combler les écarts de développement, à restaurer les écosystèmes vitaux et à aider les gens à s’adapter », ces migrations pourraient être réduites de 80 %. 

Mustapha Harzoune, 2022