Fashion Mix : le parcours de l'exposition

La haute couture, ce grand art que l’on dit français fut inventée au milieu du XIXe siècle par un couturier d’origine anglaise, Charles Frédérick Worth. Il signa les robes comme un artiste signe ses créations, inventa le renouvellement saisonnier et le principe du défilé. Grâce à lui on vit converger tous les regards sur Paris, qui devint le socle de toutes les modes à venir. L’histoire de la mode est ainsi constituée dès son origine par l’adoption des grands talents aux nationalités multiples : les plus grands couturiers sont venus d’Espagne, d’Italie ou d’Amérique. Tout au long du XXe et XXIe siècle, Paris a su préserver un statut particulier et les écoles stylistiques s’y succèdent. Les créateurs japonais y ont écrit la mode contemporaine, les créateurs belges l’ont chahuté aussi, les créateurs anglais l’ont vampirisé…

Les pièces emblématiques de ces couturiers (robes, manteaux, chapeaux, accessoires) dessinent l’épine dorsale de l’exposition et montrent les influences stylistiques des uns et des autres sur la mode française. A travers des documents d’archives, issus de fonds privés et publics, ce sont les parcours migratoires des créateurs qui sont évoqués. Mais la mode c’est également des métiers et des savoir-faire spécifiques. L’exposition évoque ainsi certains métiers particulièrement marqués par l’immigration.
Elle se déploie du milieu du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Deux temps scandent le parcours : du milieu du XIXe siècle jusqu'aux années 1960 et des années 1970 à aujourd'hui. Ces deux temps reflètent cette histoire de la mode faite d’abord par quelques couturiers étrangers qui créent leur maison à Paris jusqu’à l’apparition, aujourd’hui, de créateurs de toutes origines venus défiler dans la capitale française.

Première partie : du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1960

Cinq ensembles se distinguent dans cette première partie, chacun structuré autour de créateurs emblématiques et des écoles stylistiques qui se constituent autour d’eux. Les influences de ces créateurs sur la mode française sont montrées grâce à des associations formelles et esthétiques entre des pièces de différentes époques : un jeu de correspondances apparaît entre des œuvres de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle et des pièces résolument contemporaines.

Worth et l’école britannique

En inventant l’industrie et l’art de la haute couture, Charles Frederick Worth (en savoir plus) inaugure une école stylistique où l’excentricité toute anglaise trouve sa légitimité. Le couturier d’origine britannique a imposé son nom en griffe à l’intérieur des robes comme les peintres au bas des toiles. Il a inventé le principe saisonnier des collections mais aussi des défilés. Il ouvre également l’accès aux boulevards parisiens à des maisons de mode anglaises comme Redfern, Creed et Lucile qui y installent leurs succursales, en se spécialisant notamment dans l’art de la coupe et du tailleur.

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Article consacré à la participation de la maison Redfern à l'Exposition universelle de Saint-Louis (Etats-Unis), L'Art et la Mode, n°23, 3 juin 1904 © Editions Jalou 1904
Article consacré à la participation de la maison Redfern à l'Exposition universelle de Saint-Louis (Etats-Unis), L'Art et la Mode, n°23, 3 juin 1904 © Editions Jalou 1904

Le style Worth exubérant, flamboyant, est à lire parfois dans les collections de Vivienne Westwood, de John Galliano ou d’Alexander McQueen. Dans les années 1990, d’autres créatrices anglaises, plus secrètes, imposent néanmoins leur vision réaliste de la mode : Stella McCartney, Phoebe Philo pour Céline, toutes deux ayant également modélisé la mode de la maison Chloé.

Les créateurs exposés : Edward Molyneux • Alexander McQueen pour Givenchy • Phoebe Philo pour Céline • Vivienne Westwood • Lucile (Lady Duff Gordon) • John Galliano pour Dior • Charles Frederick Worth • Charles Poynter pour Redfern • Clare Waight Keller pour Chloé • Jean Muir
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Brevet déposé par Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949 ) le 10 juin 1909 à l’Office national de la propriété intellectuelle, pour un "Genre d'étoffe plissée ondulée" © Source : Archives INPI
Brevet déposé par Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949 ) le 10 juin 1909 à l’Office national de la propriété intellectuelle, pour un "Genre d'étoffe plissée ondulée" © Source : Archives INPI

Recherches sur les tissus

L’évolution des formes dans la mode au XXe siècle s’incarne chez certains couturiers et créateurs de mode dans des recherches textiles particulières, mais aussi des techniques singulières. En impression, en tissage ou en broderies, des couturiers notoires ont placé l’innovation textile au centre de leurs préoccupations comme d’autres, la couleur ou les motifs. C’est le cas de Mariano Fortuny (en savoir plus) dont les plissés et les velours, promus et portés à Paris, ont orienté différemment la mode des années 1910 et 1920.

 

Venue de l’Est, Sonia Delaunay et les territoires de création qu’elle a ouverts sont à considérer au même titre. La Révolution russe de 1917 chasse la noblesse qui s’installe à Paris : le prince Félix et son épouse Irina Youssoupoff fondent la maison Irfé en 1924 alors que Natalia Gontcharova pour Myrbor et plus collectivement les ateliers Kitmir imposent l’art sinueux du fil décoratif (en savoir plus). Plus récemment, le Japonais Issey Miyake, par des découvertes techniques liées au plissé, a considérablement œuvré à un renouvellement vestimentaire. Dries Van Noten, de son côté, s’est différencié de ses contemporains belges par un goût des couleurs et des motifs devenus signature.

Les créateurs exposés : Issey Miyake • Mariano Fortuny • Sybilla • Romeo Gigli • Christoff von Drecoll • Gustave Beer • Mainbocher (Main Rousseau Bocher) • Sonia Delaunay • Dries Van Noten • Natalia Gontcharova pour Myrbor • Lola Prusac • Irina et Félix Youssoupoff pour Irfé • Maria Pavlovna pour Kitmir
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Elsa Schiaparelli, manteau du soir lui ayant appartenu, haute couture, printemps-été 1949 © Collection Palais Galliera / Photo : Spassky Fischer
Elsa Schiaparelli, manteau du soir lui ayant appartenu, haute couture, printemps-été 1949 © Collection Palais Galliera / Photo : Spassky Fischer

Elsa Schiaparelli et l’école italienne

La couturière d’origine italienne, naturalisée française en 1931 (en savoir plus), a chahuté la mode des années 1930 et 1940 par les relations étroites tissées avec les artistes et par son goût pour le surréalisme appliqué à ses propres créations. Les chapeaux chaussures, les zips en plastique irrévérencieux, un homard géant disposé avec incongruité sur une robe vaporeuse, les tailleurs aux poches tiroirs, les imprimés déchirures, les boutons bijoux aux formats exacerbés sont quelques unes des créations transgressives qui ont fait la notoriété d’Elsa Schiaparelli.

Cette grande comédie de la mode trouve lecture dans les collections d’une autre Italienne : Popy Moreni, dans les années 1980. La créatrice native de Turin se réjouit d’imaginer des costumes de clowns qui divertissent les podiums de défilé. Plus récemment, Riccardo Tisci ou Maria Grazia Chiuri et Pierpaolo Piccioli pour Valentino entretiennent le souvenir décomplexé d’une mode baroque, circonscrit à un territoire contemporain.

Les créateurs exposés : Elsa Schiaparelli • Riccardo Tisci pour Givenchy • Romeo Gigli • Popy Moreni • Véra Boréa • Pierpaolo Piccioli & Maria Grazia Chiuri pour Valentino • Maurizio Galante
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Balenciaga, ensemble robe et cape, passage n° 88, printemps-été 1962 © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer
Balenciaga, ensemble robe et cape, passage n° 88, printemps-été 1962 © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer

Cristobal Balenciaga et l’école espagnole

Parmi les grands maîtres de la mode au XXe siècle, Cristóbal Balenciaga (en savoir plus) est unique. Fuyant la guerre civile espagnole en 1936, il pose ses bagages à l’Elysée hôtel et réalise une collection singulière, hybride, aux accents ibériques, située dans la grande tradition de la couture française. De collection en collection et de saison en saison, il trace une œuvre aux influences toujours ressenties aujourd’hui. Castillo et Paco Rabanne ont également quitté leur pays pour des raisons politiques. Le premier a dirigé les collections de la maison Lanvin de 1950 à 1963, pour laquelle il a associé ses coupes en volumes aux fantaisies exotiques qu’aurait appréciées la fondatrice, Jeanne Lanvin.

 

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Antonio Castillo pseudonyme de Canovas del Castillo del Rey (1908-1984), dans l'embrasure d'une porte, chez Lanvin. Cliché: BHVP / Parisienne de Photographie - Photographie Seeberger Frères © BnF
Antonio Castillo pseudonyme de Canovas del Castillo del Rey (1908-1984), dans l'embrasure d'une porte, chez Lanvin. Cliché: BHVP / Parisienne de Photographie - Photographie Seeberger Frères © BnF

Le second, Paco Rabanne, a bouleversé la mode dès 1965 en créant des robes de métal, de plastique, en découpant le cuir et en proposant des vêtements strictement iconoclastes.

Des années plus tard, Sybilla s’impose au début des années 1980 après avoir travaillé chez Yves Saint Laurent. La rigueur qui s’exerce dans le dessin et dans les tonalités maîtrisées situe son travail en ligne directe avec celui de Cristóbal Balenciaga.
Les créateurs exposés : Sybilla • Cristóbal Balenciaga • Paco Rabanne • Antonio del Castillo pour Lanvin • Raphaël

Haute couture cosmopolite des années 50

Dans les années 1950, Paris exerce une forme d’attraction sans précédent sur d’autres couturiers aux origines multiples :  Robert Piguet, Suisse, Jean Dessès, Grec né à Alexandrie, le Hollandais Charles Montaigne (de son vrai nom Charles Meuwese) Ara, d’origine roumaine, ajoutent à cette mode parisienne des accents cosmopolites.

Ces couturiers ne sont pas réunis par une école stylistique, mais leur contribution à la mode française n'en n'est pas moins manifeste, en témoigne les nombreux créateurs, héritiers, dont ils ont pu favoriser l’émergence.

Les créateurs exposés : Robert Piguet • Jean Dessès • Rabih Kayrouz • Charles Montaigne • Ara Frenkian • Catherine de Karolyi • Sarkis Der Balian (en savoir plus sur les chausseurs arméniens)

Deuxième partie : de la fin des années 1970 à aujourd’hui

Cette deuxième partie reflète davantage l’accélération des échanges caractéristiques de nos sociétés contemporaines avec le développement des défilés et des capitales de la mode jusqu’à l’apparition sur la place de Paris de créateurs de toutes origines, échappant à une école géographique spécifique. Trois ensembles égrènent les décennies successives.

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Yoji Yamamoto, cape "Pierrot" et combinaison pantalon, passage n°47, automne-hiver 1997, collection Hollywood © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer
Yoji Yamamoto, cape "Pierrot" et combinaison pantalon, passage n°47, automne-hiver 1997, collection Hollywood © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer

L'école japonaise

Lorsque Issey Miyake (en savoir plus), Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto présentent leurs collections à la fin des années 1970 et au début des années 1980, ils  introduisent un regard nouveau sur le vêtement. Leur travail est qualifié de déstructuré, le non fini y règne avec une grâce absolue, l’asymétrie est souveraine, le noir est une encre dans laquelle ils puisent toutes les inspirations.
Les termes qui reviennent le plus fréquemment sont « misérabilisme », « post atomique », « haillons », la presse et les acheteurs s’effraient de cette page sombre qui s’ouvre dans la mode. Puis, ils consacreront leurs plus belles pages à ceux qu’ils considèrent comme les maîtres absolus d’une couture nouvelle.

Depuis leur arrivée à Paris, il y a désormais une quarantaine d’années, ces créateurs japonais ne se sont pas laissés divertir par les modes au souffle court. Ils ont initié l’éclosion d’autres créateurs au talent manifeste comme Junya Watanabe.

Les créateurs exposés : Issey Miyake • Tokio Kumagaï • Kenzo • Rei Kawakubo pour Comme des Garçons • Junya Watanabe pour Comme des Garçons • Yohji Yamamoto
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Martin Margiela, ensemble body, collants et jupe rideau, automne-hiver 1990 © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer
Martin Margiela, ensemble body, collants et jupe rideau, automne-hiver 1990 © Collection Paalis Galliera. Photo : Spassky Fischer

L'école belge

En 1980 et 1981, "6 + 1" créateurs sont diplômés de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, en Belgique : Ann Demeulemeester, Walter Van Beirendonck, Dirk Van Saene, Birk Bikkemberg, Marina Yee, Dries Van Noten et Martin Margiela. C’est à Paris qu’ils rencontrent à partir de 1990 un succès immédiat. De collection en collection, chacun de ces créateurs trace à la plume sa propre signature. Ann Demeulemeester dessine une féminité sombre et empreinte d’une musicalité rock. Dries Van Noten sublime le corps par des matières riches et fluides.Walter Van Beirendonck transgresse les codes de la mode et du corps en créant des vêtements jouant avec les couleurs et les symboles.

Martin Margiela (en savoir plus), de ces six créateurs le "+1", la figure de proue, inaugure en 1989 sa maison à Paris en donnant à la mode un visage anonyme, le plus marquant de la fin du XXe siècle.

Les générations suivantes telles Véronique Branquinho, Jurgi Persoons, Olivier Theyskens ou encore Raf Simons perpétuent cette identité créative. L’école belge, plus qu’une nationalité, désigne ainsi davantage un laboratoire d’apprentissage.

Les créateurs exposés : Martin Margiela • Olivier Theyskens • Jurgi Persoons • A.F.Vandevorst • Ann Demeulemeester • Dirk Van Saene • Raf Simons • Véronique Branquinho

Le foisonnement du très contemporain

Dans les années 1990 et 2000, l’accélération culturelle, la précipitation des échanges, la démocratisation à tout rompre des voyages favorisent la naissance d’un réseau créatif débridé.

Les créateurs de toutes les nationalités sans distinction convergent à Paris pour présenter les propositions les plus calmes ou les plus insolites. Certains poursuivent le choix volontaire de s’installer à Paris comme Rick Owens qui ouvre sa maison en 2003. D’autres, qui présentent seulement leurs collections à Paris, comme Haider Ackermann, Gareth Pugh, Thom Browne ou Iris Van Herpen incarnent une génération nouvelle de créateurs.
D’autres créateurs et couturiers comme Karl Lagerfeld, arrivé à Paris en 1952, Marc Jacobs en 1997, ou Alber Elbaz, assurent la direction artistique des maisons françaises les plus notoires, respectivement Chanel, Louis Vuitton et Lanvin. Leur présence à Paris atteste de ce caractère laboratoire de la capitale mais également de cette réussite industrielle et économique telle qu’elle est guidée par les groupes de luxe.

Créateurs exposés : Viktor & Rolf • Iris Van Herpen • Alber Elbaz pour Lanvin • Azzedine Alaïa • Marc Jacobs pour Louis Vuitton • Karl Lagerfeld pour Chloé et pour Chanel • Helmut Lang • Kostas Murkudis • Patrick Kelly • Walter Van Beirendonck • Bernhard Whillhelm • Haider Ackermann • Carol Lim et Umberto Leon pour Kenzo • Manish Arora • Gareth Pugh • Rick Owens • Thom Browne