Freddy est Bolivien. Pour pallier une situation d’extrême pauvreté, comme beaucoup de ses compatriotes, il a immigré en Argentine, attiré par la rumeur d’un miracle économique qui n’est plus. Sans permis de séjour en bonne et due forme qui le mettrait à l’abri des poursuites, il est contraint de travailler comme serveur et cuistot dans un café casse-croûte de Buenos Aires, dans des conditions matérielles éprouvantes et moralement détestables. Autour du comptoir, les rapports humains sont tendus et le racisme ordinaire en milieu prolétaire sévit. Les difficultés, bien réelles, des uns et des autres sont attribuées, de façon fantasmatique, à la présence des immigrés, principalement accusés de favoriser la concurrence, même dans les besognes les plus rébarbatives que les autochtones refusent d’effectuer. Ce climat est aggravé par la crainte des contrôles de police traquant les clandestins dans les lieux publics, notamment ceux qui exercent les métiers de l’hôtellerie, entraînant la reconduite immédiate à la frontière, le fichage et l’expulsion compliquant un éventuel retour, car l’interdit ne supprime jamais tout à fait la volonté de s’en sortir (cela ne vous rappelle rien ?). Ces histoires simples du quotidien sont filmées dans un noir et blanc très sobre qui en accroît la véracité documentaire. Elles se déroulent presque exclusivement dans un huis clos en prise directe sur la vie du bistrot. Les acteurs sont dans leur ensemble des non-professionnels (même s’il faut détacher la performance de Freddy Waldo Flores) ; les conditions de tournage ont été artisanales et pragmatiques. La réalisation du film s’est étalée sur deux ans pour permettre le fonctionnement quasi normal de l’établissement pendant les week- end, ce qui permettait de dégager quelques subsides pour subvenir à certaines dépenses et arrondir un budget très strict. Bolivia s’inscrit bien dans le renouveau “modeste” du cinéma argentin, dans lequel Adrian Caetano occupe une place exemplaire. En quatre films (Pizza, bira, faso (1997), Bolivia (2001), L’Ours rouge (2002), Buenos Aires 1977 (2007) et plusieurs courts-métrages, et quel que soit le côté alarmant de son constat social, il a conquis le public local. Il a surtout accédé à l’estime internationale : Bolivia, malgré les difficultés de sa sortie en salles – un scandale de plus dans les problèmes de distribution ! – s’est vu couronné à Cannes (prix jeune public à la Semaine de la critique), à San Sebastian (prix du meilleur film latino-américain), à Rotterdam (prix de la critique), et à Londres (prix Fipresci).