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Le hip-hop de Harlem à la Cité - 1975-2009

A l'occasion de la programmation spéciale consacrée au hip-hop les 30 mai et 21 juin 2009, André Videau, auteur de "Par rapport au rap" (1994), revient sur les origines du mouvement aux USA et les développements du hip-hop à la française jusqu'à aujourd'hui.

Les USA dans le rétro

Apparu aux États-Unis vers le milieu des années 70, le mouvement hip-hop s’est développé dans les quartiers socialement défavorisés des grandes cités à population majoritairement noire. Une implantation qui va induire ses premières caractéristiques : pratiques de jeunes, cultures de rues, références à l’Afrique…
Le mouvement va se structurer grâce, notamment, à la figure tutélaire d’Afrika Bambata et de sa Zulu Nation, précisant sa démarche politique et artistique, son contenu moral et social.
C’est tout le contraire d’un mouvement de révolte gratuite. Il faut lutter contre la pauvreté, l’inaction et l’ennui. Il faut se protéger contre les ravages de la drogue (commerce et consommation), le recours à la violence et l’usage des armes, la répression policière, les discriminations…
On ne peut se contenter des recettes traditionnelles proposées par les travailleurs sociaux, un encadrement occupationnel, ludique, sportif. Il faut quelque chose de plus radical, en phase avec l’air du temps et répondant aux aspirations d’une génération laissée pour compte.

La réussite du mouvement hip-hop est venue de son accointance avec les attentes et surtout de la diversité des propositions artistiques, parfois inspirées par la tradition, parfois inscrites dans la modernité. Proposition musicale (le rap), plastique (le tag et le graf), chorégraphique (la break dance et ses nombreuses déclinaisons). À ce triptyque, il faut ajouter une forte imprégnation idéologique, un discours politique identitaire dû aux adeptes les plus zélés du mouvement.
Enfin, détail plus anecdotique et frivole, le courant hip-hop favorisé par le souffle médiatique connaîtra l’exterritorialité, la mondialisation, en un mot la mode dans tous ses états (vêtement, coiffure, langage, gestuelle…).

Hip-hop à la française

 

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« Si Je t’M »,  Compagnie Black Blanc Beur © André Golias
« Si Je t’M »,  Compagnie Black Blanc Beur © André Golias

La France n’échappe pas à la contagion. C’est en terrain conquis que le chef spirituel Afrika Bambaka effectue une tournée de propagande en 1984. La jeunesse française, y compris dans sa composante banlieue, a toujours été fascinée par les courants venus d’Amérique. Le phénomène naturel de mimétisme est amplifié par les radios, depuis peu dites libres, et les télévisions où des animateurs vedettes (Sydney, Dee Nasty, Tonton David feront figure de pionniers de la culture hip-hop) .
Néanmoins la France va tout de suite marquer sa distance et sa différence.
Le hip-hop fait majoritairement des adeptes dans la même tranche d’âge (les 15-25 ans), la même classe sociale toutes proportions gardées, les mêmes répartitions territoriales de l’habitat, les mêmes attirances musicales ou culturelles. Mais c’est sa composition démographique qui se démarque le plus du modèle.

 

 

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Etre dans la rue, Farid'O © DR
Etre dans la rue, Farid'O © DR

Aux USA, les Noirs sont majoritaires et finalement assez hégémoniques dans le mouvement, avec quelquefois des dérives racistes ou pour le moins des postures et des œuvres de combat, pour ne pas parler de certaine apologie du gangstérisme, d’expressions misogynes et homophobes). Les jeunesses de l’hexagone qui vont rallier le hip-hop sont beaucoup plus composites.
Certes les enfants d’immigrés d’origine sub-saharienne y prennent une part importante et parfois décisive, mais leur référence à l’Afrique mythique (si fréquente outre-Atlantique) est tempérée par la proximité, une connaissance plus réaliste, les souvenirs du colonialisme, les conditions de l’immigration.
De plus ils ne sont pas les seuls. La présence des Antillais en métropole résulte d’une autre histoire, leurs rapports à la négritude, à la traite, à l’esclavage sont différents. Cela génère des expressions culturelles spécifiques (comme par exemple en musique à travers le reggae). Quant à leur citoyenneté qui leur donne accès à la fonction publique, il n’est pas sans incidence sur leur mode de vie et leur consommation culturelle.

 

Enfin, dernier élément de la mosaïque-France : les jeunes d’origine maghrébine. Ce n’est pas par leur supériorité numérique que les « beurs » sont omniprésents dans la vie active des quartiers, bien davantage par leurs potentialités et leur singularité, de la lutte pour les droits civiques, culminant en 1983 avec « la marche des Beurs » aux diverses scènes artistiques (théâtre, chanson, mode, cinéma, sans parler des exploits sportifs et en attendant la sphère des médias, de l’entreprise, de la politique). Alors, le hip-hop pourquoi pas ? Le rap, ok ! Mais sans négliger le raï, parti d’Oran via La Courneuve et Paris et l’appropriation de toutes ces chansons françaises aux paroles et musiques indémodables.

Entrée dans la danse

Comme un cas d’école particulièrement significatif nous allons isoler la chorégraphie, à la fois exemple d’exception culturelle et d’intégration à la française.
Les jeunes apprentis danseurs, émoustillés par les images véhiculées par les médias ont adopté des rythmes et cherché à reproduire des figures individuelles ou collectives. Des gymnastiques très cadencées capables de capter et de canaliser leur énergie, de s’inscrire dans leur recherche de l’exhibition et de la performance, de satisfaire un sens viril de l’esthétique pouvant se perfectionner en solitaire devant l’armoire à glace. Avant de s’enhardir pour affronter le jugement des copains vers les cages d’escaliers, les parkings, les espaces publics et finalement d’attirer les spectateurs dans de salles mieux équipées. Pendant que se déroulaient des concours, des performances, des battles devant des publics de connaisseurs de plus en plus nombreux, la démarche éducative, les effets bénéfiques sur les comportements, commençaient à interpeller les responsables publics. La pratique spectaculaire de la danse hip-hop imposait des disciplines auxquelles les jeunes « B-boys » étaient habituellement rebelles. Il leur fallait soigner leur tenue, être ponctuels, attentifs, appliqués, ne pas rechigner à l’effort et puis, dans le feu de l’action, se dépasser (pour mieux dépasser les autres). La danse obligeait même à se plier aux règles des rapports sociaux : respecter le temps de l’autre, l’espace de l’autre, la liberté d’expression de l’autre… ce qui n’était pas fréquent dans l’anarchisme ambiant. Les spectacles développèrent un argument, se donnèrent un titre distinctif, sortirent de la rhétorique acrobatique, firent une place plus grande à la mixité.

Bien sûr, cela ne concernait qu’une minorité, mais elle était exemplaire. Elle imposait un démenti à ceux qui parlaient de récupération. Les résultats étaient surprenants en banlieue Nord de Paris, à Lyon, Roubaix, Bordeaux, Toulouse , Nantes… Des groupes sortaient de l’anonymat local : Traction Avant, Black blanc beur, Accro’rap, Aktuel Force, HB2…
La danse hip-hop ne laissait plus personne indifférent, surtout pas les chorégraphes du contemporain (Jean-François Duroure, Régine Chopinot, Maguy Marin, José Montalvo, Karine Saporta...). Plusieurs compagnies proposaient des rencontres, des collaborations, des master-class, des échanges, des partages.

Des programmateurs avisés allaient être les promoteurs de ces nouvelles formes et œuvrer à la confirmation de talents individuels ou collectifs (ainsi de Philippe Mourrat avec les rencontres annuelles des cultures urbaines de La Villette, Guy Darmet à la Maison de la danse et à la Biennale de Lyon, Jean-Marc Montanari à Montpellier, Olivier Meyer à Suresnes, Christian Tamet à Paris puis à Châteauvallon…)
Grâce à eux, et à d’autres, il y eut du hip-hop dans tous les événements chorégraphiques. Farid Berki, chorégraphe autodidacte de la compagnie Melting spot (Roubaix) composa une chorégraphie pour Kader Belarbi, danseur- étoile de l’Opéra. Abou Lagraa, Sidi Larbi Cherkaoui, accueilli en décembre à la Cité, par leur double appartenance sont de passeurs qui infléchissent les lignes.

Aujourd’hui c’est tout naturellement que la danse hip-hop trouve droit de Cité avec la participation des compagnies Melting Spot le 30 mai, Black blanc beur et Farid ‘O le 21 juin à l’occasion de la Fête de la musique.

André Videau (27 mai 2009)