Dossier

Dessein d'héritier

David Sala a reçu le prix BD de la Porte Dorée 2023 avec Le Poids des héros. Il y évoque à hauteur d’enfant les figures tutélaires de ses grands-pères émigrés, héros de la guerre et de la Résistance.

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© TDR

Comment raconter l’histoire de sa famille pour éviter qu’elle ne sombre dans l’oubli ? Celle notamment d’Antoine Soto et Josep Sala, réfugiés espagnols en France, résistants, déporté pour le premier ? Pour le dessinateur David Sala, 50 ans, qui a grandi avec le poids et la fierté d’être leur petit-fils, la question est longtemps restée sans réponse. « Le risque était de faire une BD documentaire sur un sujet largement connu », commente l’artiste. « Le tournant a été de me dire qu’il serait plus intéressant de parler de moi, de la façon dont j’ai reçu cet héritage et dont il m’a transformé avant que je ne trace mon chemin. »

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La richesse et la variété de sa palette chromatique ont fait la renommée de David Sala, entre l’illustration jeunesse (La Colère de Banshee, La Belle et la bête) et la BD (Replay et Nicolas Emerich, inquisiteur avec Jorge Zentner, Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig). D’abord fan de « BD franco-belge puis de comics américains », le natif de Décines près de Lyon a découvert ensuite le travail de l’Argentin Alberto Breccia. Encre de Chine, taches, collages, usage du noir et blanc... « J’ai compris qu’on pouvait explorer des tas d’autres choses », commente le dessinateur.

Le résultat est une bande dessinée à la fois intimiste et universelle sur la transmission, 173 pages de récit à hauteur d’enfant et d’adolescent où explosent les couleurs. Fleurs psychédéliques pour raconter les années 1970, aplats de couleurs vives pour évoquer les camps de concentration... Certaines scènes s’apparentent à de véritables tableaux, évoquant Klimt ou Francis Bacon.

Le récit d'une Espagne résistante

David Sala raconte une époque où les murs des maisons étaient couverts de papiers peints criards, où parents, grands-parents et amis faisaient à table l’éducation politique des enfants, où il fallait se taire pour enregistrer correctement sur son magnétophone une émission de radio. Il fait le récit d’une enfance dominée par la figure du grand-père maternel. Le portrait du déporté Antoine Soto, qui s’est juré de mourir après le dictaturier espagnol Franco, orne le mur du salon. La BD rend hommage aussi au grand-père paternel Josep Sala.

« J’ai longtemps cherché pourquoi je portais autant de noirceur en moi, commente le dessinateur. J’ai compris que je portais la colère de Josep, qui évoquait parfois à demi-mots le mauvais accueil qui lui avait été fait à son arrivée en France ou les cauchemars récurrents des années de guerre. »

Le lauréat du prix BD de la Porte Dorée 2023

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Photo : Anne Volery © Palais de la Porte Dorée

En faisant de David Sala le lauréat du deuxième Prix BD de la Porte Dorée, le jury présidé par l’écrivaine et réalisatrice Aurélie Levy a salué un récit « qui
réussit à nous faire éprouver la transmission consciente et inconsciente des luttes et des traumatismes transgénérationnels, le poids de l’histoire, la colère sourde de ses héros.
» Lors de la remise du Prix, l’illustrateur a évoqué ceux qui aujourd’hui, comme ses aïeux, fuient la guerre ou la famine dans l’espoir d’une vie meilleure en France. Pour quel accueil ? « Je pensais qu’on avait tiré les leçons du passé mais j’entends des discours qu’on espérait oubliés. Cela me tétanise un peu », concède-t-il tristement. Après avoir sorti un album jeunesse David Sala commence à plancher sur sa prochaine BD. Un projet de plusieurs années. « Le Poids [des héros] m’a pris énormément d’énergie. Le prochain album n’aura aucune dimension autobiographique. Ça c’est sûr. »

L'actualité de l'artiste

David Sala vient de sortir son interprétation du célèbre conte des Frères Grimm, Hänsel et Gretel, aux éditions Casterman.