Bernardo Toro, résident littéraire 2017

Paris vue par ses migrants

Lors de la parution dans la revue Hommes & Migrations d’un numéro sur le « Paris des migrants », Bernardo Toro avait manifesté son intérêt pour traiter l’histoire de l’immigration dans la capitale sous l’angle de la production de nouvelles littéraires. Il pensait que ces récits donneraient à voir différents visages du cosmopolitisme « par le bas » à travers des témoignages de migrants d’horizons divers illustrant les relations qu’ils ont tissées avec un quartier parisien.

Il a donc expérimenté en éclaireur ce dispositif de résidence d’écrivain en proposant d’organiser sur l’année 2017 des ateliers de collecte et d’écriture de récits de vie. La diversité des témoignages reflétait la pluralité des profils de migration, des trajectoires familiales ou personnelles sur Paris. Fidèle à sa démarche participative très ouverte, Bernardo Toro a fait de cette diversité des publics une palette d’une grande richesse. Ainsi, a-t-il ajusté les modalités d’organisation des ateliers d’écriture et de production de textes au degré de maîtrise du français des publics concernés.

Biographie de l'auteur

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Bernardo Toro
Bernardo Toro

Bernardo Toro est né en 1964 à Santiago au Chili, dans une famille dont le père était engagé politiquement, notamment auprès des victimes du régime militaire chilien. Jeune joueur d'échecs, il participe très tôt à plusieurs compétitions internationales au sein desquelles il représente son pays. Après avoir entamé des études de médecine, Bernardo Toro décide de rejoindre la France en 1983 et de poursuivre des études de lettres à Paris.

En 1987, il soutient à l'université Paris IV un mémoire de DEA sur l'œuvre de Marcel Proust puis il commence à enseigner le français en banlieue parisienne. Entre 1988 et 1993, il dirige la revue d’art et de littérature Lieux extrêmes, puis prend la direction de la revue Rue Saint Ambroise, publication trimestrielle consacrée aux nouvelles contemporaines, en 1998. Il publie deux romans Contretemps (éditions Les Petits Matins, 2006) et De Fils à Fils (éditions Stock, 2010).

Les ateliers et activités

Bernardo Toro proposera durant dix mois des ateliers d’écriture dans plusieurs quartiers parisiens avec des publics très divers mais ayant un lien avec l’immigration. Ces ateliers aboutiront à la réalisation d'un ouvrage composé de dix nouvelles portant sur l'immigration à Paris et notamment sur le regard que les migrants portent sur la société française. La volonté de Bernardo Toro était de "redonner aux étrangers la subjectivité qui leur est souvent déniée, et ce faisant à les faire passer du statut d’objet à celui de sujet". Pour cela, il a organisé des ateliers et des activités au sein de nombreuses classes d'accueil, mais aussi d'association, de fondation ou de centre d'hébergement :

  • Élèves de la classe d’accueil du lycée François Villon (Paris 14ème). Projet réalisé avec le concours de Madame Buisson, professeur de la classe. Travail par groupes de trois autour des métiers pratiqués à Paris et de certains quartiers parisiens.
  • Élèves de la classe d’accueil du collège Anne-Franck (Paris 11ème). Projet réalisé avec le concours de Madame Roche, professeur de la classe. Projet autour des habitants du 11ème arrondissement. Vidéos publiées sur la chaîne YouTube de « Résidence au Musée de l’Immigration » atelier dans la classe d’accueil du collège Anne-Frank (la plus intéressante à publier est celle de Béatrice Plumet au Jardin Nomade ou celle sur Blondel aux Beaux-Arts)
  • Élèves de la classe d’accueil du lycée Victor Duruy (Paris 7ème) Projet réalisé avec le concours de Madame Samé, professeur de la classe. Projet autour du 19ème arrondissement mettant un rapport une élève « écrivaine » et une élève « guide touristique ».
  • Association Nogozon. Projet réalisé avec le concours de Monsieur Aras, président de l’association. Projet autour de l’immigration turque à Paris.
  • Fondation Casip Cojasor. Projet réalisé avec le concours de Madame Politis, responsable du service Archives, Histoire et Communication scientifique. Projet autour de l’immigration juive à Paris.
  • Maison de retraite Claude Kelman. Projet réalisé avec le concours de Monsieur Azoulay, directeur de la maison de retraite. Projet autour de l’immigration juive provenant des pays de l’Est.
  • Centre d’hébergement Emmaüs Pereire. Projet réalisé avec le concours de Madame Eon, responsable culturelle. Projet réalisé avec les résidents du centre autour de Paris et ses quartiers.

Le livre

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© Bernardo Toro, Paris Ville Monde, Editions Rue Saint-Ambroise, Paris, 2018, 180p.

"Toutes ces expériences ont servi de base à la réalisation d’un ouvrage en cours de préparation intitulé Paris Ville Monde. La plupart des fictions qui composent ce recueil collectif ont été le fruit de la rencontre entre un écrivain (choisi par Bernardo Toro) et un migrant (rencontré par Bernardo Toro lors des activités réalisées). Les écrivains ont bénéficié d’une entière liberté dans la conception de leurs fictions. Celles-ci ne prétendent pas retracer le parcours du migrant ni restituer sa parole, mais s’efforcent de prolonger l’effort déployé par celui-ci en vue de se dégager de l’assignation communautaire. Nous pensons, en effet, que malgré les dispositifs mis en place pour libérer la parole du migrant, celle-ci reste soumise aux contraintes sociales auxquelles le migrant, plus que tout autre, est soumis en raison de sa précarité sociale.

Pour libérer réellement cette parole des interdits et des inhibitions, le passage à la fiction nous a semblé indispensable. L’intervention d’un écrivain s’avère donc nécessaire. Ce n’est pas seulement une question de compétence formelle. Cela tient à la place toute particulière qu’occupe la littérature dans nos sociétés, autrement dit à la liberté que le corps social accorde à l’expression littéraire. Quiconque prend la parole dans l’espace public doit répondre en son nom des choses qu’il avance, seul l’écrivain est dégagé (partiellement) de cette responsabilité, seul lui peut tenir des propos choquants ou énoncer des vérités paradoxales sans avoir à en répondre à titre personnel.  Le pacte fictionnel le protège. C’est la raison qui nous pousse à croire que la littérature est le seul espace où la subjectivité peut se déployer pleinement, que seule la littérature peut conférer à la parole du migrant cette liberté que lui-même ne peut pas s’accorder.

Cette résidence a ainsi permis d’approfondir le processus d’écriture en binôme, un mode particulier de participation des migrants à la production d’une nouvelle littéraire, qui est ainsi contrainte dans sa forme narrative. Elle a permis d’émettre des hypothèses sur la mise en relation entre l’écriture et l’expérience migratoire qui peuvent faire l’objet d’un débat dans les domaines de la création littéraire et de la médiation culturelle, reprises à l’avenir dans le cadre des activités du Musée."

Marie Poinsot, responsable des résidences.

Retrouvez le livre sur le site des Éditions Rue Saint-Ambroise

Bernardo Toro en parle

"Ma résidence d’écriture au Musée de l’histoire de l’immigration a commencé en janvier 2017 et s’est poursuivie jusqu’en janvier 2018. Son but était d’interroger et d’approfondir les liens qui rattachent les migrants à la ville de Paris, par le biais d'activités telles que des ateliers d’écriture, des balades urbaines ou encore la réalisation de vidéos et de portraits filmés. L'objectif final était la réalisation d'un ouvrage collectif intitulé Paris Ville Monde (à paraître en mai 2018) qui rassemble une douzaine de fictions courtes portant sur autant de parcours migratoires. Dans ce but, le Musée m’a permis d’entrer en contact avec diverses associations et institutions qui s’occupent de l’accueil et de l’intégration des migrants (le Casnav, Emmaüs Solidarité, la fondation Casip Cojasor, etc.). Grâce à elles j’ai pu rencontrer des migrants d’origine, d’âge et de milieu social très divers."

Bernardo Toro