J'ai deux amours : le parcours de l'exposition suite

3. Frontières : passages et contrôles

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Barthélémy Toguo, Carte de séjour (tampon), 2010
Barthélémy Toguo, Carte de séjour (tampon), 2010, Sculpture en bois, 24 x 46 x 26 cm. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI Courtesy Galerie Lelong, Paris © ADAGP, Paris 2011

Barthélémy Toguo
M’Balmayo (Cameroun), 1967. Vit et travaille entre Paris, Bandjoun (Cameroun), et New York.

« Nous sommes tous en "transit" permanent. Qu’un homme soit blanc, noir, jaune, peu importe. Il est de toute façon un être potentiellement "exilé"».

Les tampons et les empreintes Carte de séjour, Mamadou, France, Clandestin sont une variante de l’installation The New World’s Climax (2001). Barthélémy Toguo, par ces tampons surdimensionnés en forme de buste, détourne avec humour les outils administratifs. Les empreintes composent ainsi les pages d’un passeport fictif. Elles retracent l’identité complexe des migrants.

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Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002.
Go No Go, Les Frontières de l'Europe 1998-2002. Frontière de Ceuta, enclave espagnole au Maroc, 2001. Tirage argentique noir et blanc sur papier baryté 60 x 80 cm. Musée national de l'histoire de l'immigration
© Ad Van Denderen / Agence Vu'

Ad van Denderen
Zeist (Pays-Bas), 1943. Vit et travaille à Amsterdam.

« J’ai essayé de capturer un tant soit peu cette société de l’ombre dans laquelle des gens font tout ce qu’ils peuvent pour survivre, et où la honte, la fierté et la dignité jouent un rôle essentiel. Je voulais donner un visage à ceux qui autrement seraient restés anonymes ».

Durant quatorze ans, Ad van Denderen photographie les frontières de l’espace Schengen, espace de libre circulation européen.

Vivant quelques jours ou quelques mois aux côtés de ces migrants, il documente leur quotidien. En parallèle des filières de l’immigration clandestine, il présente les mécanismes de régulation policière et judiciaire, établissant ainsi un témoignage global de ces flux invisibles.

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Les Migrants, 2009. Mathieu Pernot
Les Migrants, 2009. Tirage jet d’encre, 85 x 120 cm.
Musée national de l'histoire de l'immigration © Mathieu Pernot

Mathieu Pernot
Fréjus, 1970. Vit et travaille à Paris.

« J’ai été ému par la présence de ces «refoulés» de l’histoire, ces figures d’une mondialisation inversée. (...) Je n’ai pas voulu les réveiller. Je n’ai rien vu des migrants ». Durant l’été 2009, Mathieu Pernot réalise la série Les Migrants.

Il photographie des Afghans clandestins dans le Xe arrondissement de Paris, à proximité du square Villemin dont ils viennent d’être expulsés. Ces hommes en transit, migrants de passage, rêvent d’Angleterre ou d’un statut de réfugié. « Après avoir passé plusieurs après-midi aux côtés de ces groupes d’Afghans, j’ai décidé de travailler autrement, de ne pas essayer de créer un lien, de m’en tenir à ce que tout le monde pouvait voir à condition de bien vouloir regarder. »

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Abri #5, série Calais (2006-2008). Bruno Serralongue
Bruno Serralongue, Abri #5, Calais (série), avril 2007, 2009, tirage ilfochrome contrecollé sur aluminium dans un cadre plexiglas, 125 cm x 158 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2009.45.2
© EPPPD-MNHI, © Bruno Serralongue. Courtesy de l'artiste et galerie Air de Paris

Bruno Serralongue
Châtellerault, 1968. Vit et travaille à Paris.

« Une œuvre d’art en général est avant tout une pensée qui prend une forme bien particulière, c’est-à-dire une image ».

Après la fermeture, en novembre 2002, du camp de réfugiés de la Croix-Rouge de Sangatte près de Calais, Bruno Serralongue entame, en 2006, un nouveau projet sur le thème de l’immigration. Depuis 1999, ce camp abritait des clandestins désireux de passer en Angleterre.

Sa fermeture n’a pas interrompu le flot de migrants. Des centaines de personnes survivent dans les terrains vagues et les zones boisées aux alentours de la ville, rassemblées dans des campements de fortune. Avec les Abris, Bruno Serralongue privilégie le hors champ : sur les sentiers matinaux, il photographie non pas les migrants mais les refuges précaires et la nature environnante. Les clandestins sont invisibles. Pour Bruno Serralongue, c’est « comme si c’étaient des fantômes ».

4. Vivre ensemble

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Sans titre - Série Les témoins Meaux. © Mathieu Pernot
Sans titre - Série Les témoins Meaux. Tirage jet d'encre 60 x 50 cm. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI © Mathieu Pernot

Mathieu Pernot
Fréjus, 1970. Vit et travaille à Paris.

« Entre l’utopie de départ et la mise à mort finale, c’est comme s’il n’y avait rien eu ».

Le Grand Ensemble, réalisé par Mathieu Pernot entre 2000 et 2006, fait référence aux quartiers d’habitat social érigés, à partir des années 1950, aux abords des grandes villes. L’œuvre de Mathieu Pernot est composée de trois types d’images. Elle confronte les époques et interroge l’histoire. Les Implosions saisissent l’instant de la destruction des barres d’immeubles. Tout bascule et s’efface : la mémoire du quartier, les promesses du lieu, l’utopie sociale.

Le Meilleur des Mondes, ensemble de cartes postales collectionnées et agrandies par l’artiste, nous fait remonter le temps et nous rappelle que ces lieux ont été des emblèmes de modernité et de progrès urbain. Enfin, révélés par l’agrandissement des cartes postales, des personnages émergent de la trame d’impression. Ces Témoins déambulent, observent.

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Le Reflet - série Périphéries, 2008.Tirage lambda contrecollé sur aluminium 140 x 225 cm. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI © Mohamed Bourouissa
Le Reflet - série Périphéries, 2008.Tirage lambda contrecollé sur aluminium 140 x 225 cm. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI © Mohamed Bourouissa     

Mohamed Bourouissa
Blida (Algérie), 1978. Vit et travaille à Paris.

« Si je pars d’une base sociale, mon travail est pourtant d’ordre plastique, fonctionnant sur une géométrie émotionnelle.»

Avec la série Périphéries, Mohamed Bourouissa propose des images de la banlieue où il a vécu et s’attaque aux idées reçues.

Mohamed Bourouissa élabore des images qui semblent avoir été prises sur le vif mais qui sont en fait des mises en scène. Elles sont préparées par des notes et des croquis et s’inspirent, dans leur composition, des tableaux de grands maîtres de la peinture tels Géricault, Delacroix, Le Caravage ou Piero della Francesca.

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Kader Attia, La Machine à rêve, 2008. Détail
Kader Attia, La Machine à rêve, 2008. Technique mixte : Distributeur (183 x 100 x75 cm) et Mannequin (185 x 80 cm). Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI © ADAGP, Paris 2011

Kader Attia
Dugny (Seine-Saint-Denis), 1970. Vit et travaille entre Paris et Berlin.

« S’émanciper voudrait donc dire consommer (...). À l’époque où cette œuvre fut créée, les produits hallal étaient rares dans le commerce. Aujourd’hui, des médicaments aux sucreries en passant par les préservatifs, ils sont pléthore ». En 2003, Kader Attia présente à la Biennale de Venise La Machine à rêve. Dans une version féminine imaginée pour le Musée nationale de l’histoire de l’immigration, un mannequin est sur le point d’acheter l’un des produits du distributeur automatique : préservatifs, dessous, rouges à lèvres de la marque Hallal... Selon l’artiste, cet ensemble d’objets est représentatif du rêve d’intégration et d’émancipation de certaines jeunes filles.

Kader Attia, qui a passé son enfance entre la France et l’Algérie, ne cesse d’explorer ce va-et-vient d’une culture à l’autre. En utilisant le terme hallal, il n’est pas question pour lui de critiquer la religion mais de montrer de quelle façon les mots sont vidés de leur sens. Dans le langage commun d’aujourd’hui, hallal devient un mot courant signifiant « propre à la consommation ».

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Denis Darzacq, La chute n°1, 2006
La Chute #1, 2006. Épreuve argentique contrecollée sur aluminium d'après négatif couleur. 83,6cmx104cm. Musée national de l'histoire de l'immigration
© Denis Darzacq & Galerie VU'

Denis Darzacq
Paris, 1961. Vit et travaille à Paris.

« J’aime qu’à l’ère de photoshop, la photographie puisse encore surprendre et témoigner d’instants ayant réellement existé, sans trucages ni manipulations ».

Après la crise des banlieues de l’automne 2005, Denis Darzacq réalise la série La Chute. Il photographie des corps en suspension, entre chute et impulsion.

Pour ce projet, il invite des danseurs de hip hop, de capoeira et de danse contemporaine à entrer en scène. Il leur demande de défier les lois de la gravité et de l’apesanteur dans un lieu prédéfini. Denis Darzacq «utilise une construction photographique qui oppose deux réalités sans manipulations numériques. D’un côté, le décor d’une ville à l’architecture générique et sans âme, et de l’autre, la puissance orgueilleuse de corps en action qui refusent soumission et silence. »

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Melik Ohanian - Peripherical Communities, Dakar, 2005 © Nathalie Darbellay
Melik Ohanian - Peripherical Communities, Dakar, 2005 © Nathalie Darbellay

Melik Ohanian
Lyon, 1969. Vit et travaille entre Paris et New York.

Peripherical Communities est un mode d’enregistrement particulier, un instrument pour capter la réalité des communautés pratiquant le slam dans la périphérie des grandes villes du monde.

Déclinée en plusieurs versions réalisées à Paris (2002 et 2009), Séoul (2003), Amsterdam (2006), Londres (2011), l’installation présentée ici a été effectuée à Dakar en 2005. Melik Ohanian va à la rencontre de poètes urbains et les enregistre. Ces derniers nous content en slam, des récits personnels et collectifs, témoignages d’expériences et d’existences diverses. Si personne n’entend le même récit, tous les visiteurs perçoivent la même image et se retrouvent sur un tapis qui fait office de territoire. L’artiste donne à voir les oppositions complexes de toute société : ici et là-bas, fragment et totalité, individuel et collectif.

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Sans titre, Djamel Tatah 2
Ensemble de 4 tableaux, 2008, Huile et cire sur toile, Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI

Djamel Tatah
Saint-Chamond, 1959. Vit et travaille à Paris.

« Je fais toujours le même tableau. J’explore toujours le même sentiment, le même rapport au monde, avec une insatisfaction perpétuelle qui me pousse à continuer. La répétition est inhérente à mon travail.(...) Mais c’est une fausse répétition. Tout se passe dans les nuances ».

Djamel Tatah photographie tout d’abord ses proches et amis. À partir de cette banque d’images, réservoir de postures et de formes, il crée informatiquement la composition d’un tableau et la projette sur la toile avant de peindre.

Dans les Sans titre de 2008, les personnages se situent dans un univers vide, silencieux. Ils sont comme en dehors du temps... en suspension. Les corps et les visages, tous de la même tonalité, pâles aux yeux cernés de bleu, paraissent absents. Comme pour éliminer toute trace d’émotion, toute appartenance sociale ou raciale. Les figures représentées ici peuvent faire référence à des jeunes que l’on retrouve aujourd’hui, de part et d’autre de la Méditerranée, dans les rues de France ou d’Alger. Mais ce qui émerge avant tout de ces personnages, c’est une impression de dépouillement et de solitude. Cette solitude que chacun porte en soi, comme une expérience profondément intime.

5. Réinventer son univers

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Ghazel, Me (2003-2008). Little Mermaid
Ghazel, Me (2003-2008). Installation vidéo - 3 moniteurs 12 mn par film env. Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI © ADAGP, Paris 2011

Ghazel 

Téhéran (Iran),1966. Vit et travaille à Paris.

« Mon travail parle de moi, de mon hybridité, de mon nomadisme, avec des éléments constitutifs de mon identité, comme le tchador, la langue anglaise et la culture française, et je mélange tout ça »

En 1986, Ghazel quitte l’Iran pour venir étudier en France. « Nomade hybride », comme elle aime à se qualifier, Ghazel élabore une œuvre où se rencontrent les notions de déracinement, de nostalgie, d’errance ... Dans Me (2003-2008), série d’autoportraits vidéo, Ghazel se filme dans de courtes séquences, toujours vêtue d’un tchador.

Le tissu noir, devenu symbole de la femme iranienne, se transforme progressivement en un principe graphique qui lie entre elles les différentes scènes. En « suspension entre deux mondes » – chacun « tenant lieu de référence et de maison » –, Ghazel réinvente son univers. « Je suis une «étrangère» dans ces deux mondes – l’Occident et l’Iran – et c’est mon monde à moi que je révèle

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Chen Zhen, Un-interrupted Voice, 1998.
Chen Zhen, Un-interrupted Voice, 1998. Chaises, bois, peau de vache, ficelle, chaînes 98 x 186 x 44 cm. Musée national de l'histoire de l'immigration. Photo Bertrand Huet, Courtesy Galleria Continua, San Gimignano/Beijing/Le Moulin © ADAGP, Paris 2023

Chen Zhen
Shanghai (Chine), 1955 – Paris, 2000.

« Il s’agit de devenir une sorte de "sans-abri culturel", c’est-à-dire n’appartenir à personne mais être en possession de tout ».

En 1986, Chen Zhen quitte la Chine pour s’installer en France. Véritable citoyen du monde, il travaille à New York, Shanghai ou Paris, sa ville d’adoption, avant de disparaître prématurément en 2000.

Il se sert alors de ses propres expériences pour créer une œuvre faite d’objets traditionnels et contemporains d’origines diverses. Chen Zhen imagine le concept de « transexpériences » qu’il définit comme un enrichissement des cultures au contact les unes des autres. Ce nouveau mot « résume de façon vivante et profonde les expériences complexes que l’on vit quand on quitte son pays natal et qu’on va de pays en pays». Uninterrupted Voice, créé en 1998, transforme des chaises en tambours, associant des éléments empruntés aux cultures chinoise et occidentale. Pour Chen Zhen, l’art a la même fonction que la médecine, il s’agit de « se soigner soi-même en frappant les tambours..., se masser, se nettoyer, chasser le stress, et retrouver un équilibre psychique et émotionnel ». L’œuvre appelle le public à utiliser les tambours.

Mona Hatoun
Beyrouth (Liban), 1952. Vit et travaille entre Londres et Berlin.

Mona Hatoum naît à Beyrouth dans une famille palestinienne. En 1975, elle est en visite à Londres lorsqu’éclate la guerre civile au Liban. L’artiste ne peut plus rejoindre son pays natal et ses proches. Dès lors, elle choisit de questionner son statut de femme et d’exilée à travers une œuvre. Mona Hatoum s’empare d’objets familiers, domestiques et intimes, qu’elle ne cesse de transformer.
Le tapis persan Bukhara fait directement référence aux souvenirs de l’artiste, à son enfance et à la collection de tapis qui recouvrait le sol de la maison familiale. Mais il symbolise également l’univers que le migrant emporte avec lui, comme un « chez-soi » qu’il tente de recréer dans son exil permanent. Sur ce tapis, se dessine en creux un planisphère représenté selon la projection de Peters qui, contrairement à celle de Mercator, respecte les dimensions des continents.

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Mona Hatoum, Bukhara (red and white), 2008.
Mona Hatoum, Bukhara (red and white), 2008. Tapis en laine, 143 x 225 cm. Collection Musée national de l'histoire de l'immigration
Photo : Martin Argyroglo, Courtesy Galerie Chantal Crousel, Paris © ADAGP, Paris, 2011

[Mezzanine Ouest]
Rajak Ohanian
Vit et travaille à Lyon.

Par ces « prises de vues, j’ai voulu mettre en valeur la dignité de ces personnes ». Rajak Ohanian Lyon, 1933.
Rajak Ohanian, fils d’immigrés arméniens, apprend la photographie dans l’arrière-boutique d’un professionnel. En 1999, il s’installe pendant six mois dans une entreprise d’impression sur tissu de la région lyonnaise pour photographier l’ensemble du personnel. La série Portrait d’une PME se compose de trente-deux portraits en pied et grandeur nature. Chacun fait face à l’objectif avec pour toile de fond un tissu imprimé, fruit de son travail du jour.

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Portrait d'une PME, Rajak Ohanian, 1999. De gauche à droite : Kamel Merat, teinturier, Alix Derome, technicienne, Joseph Nerguisian, fondateur © Musée national de l'histoire de l'immigration
Portrait d'une PME, Rajak Ohanian, 1999. De gauche à droite : Kamel Merat, teinturier, Alix Derome, technicienne, Joseph Nerguisian, fondateur. Coll. Musée national de l'histoire de l'immigration
© EPPPD-MNHI