Persona grata
L'art contemporain interroge l'hospitalité
Du 16 octobre 2018 au 20 janvier 2019
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Une exposition. Deux lieux.
Le Musée d’art contemporain du Val-de-Marne et le Musée national de l'histoire de l'immigration proposent une exposition en deux lieux qui interroge la notion d’hospitalité à travers le prisme de la création contemporaine.
À l’heure où les débats sur l’accueil des migrants sont particulièrement vifs, le Musée national de l’histoire de l’immigration et le MAC VAL, Musée d’art contemporain du Val-de-Marne, s’associent pour interroger, à travers leurs collections respectives, le sens de l’hospitalité dans nos sociétés.
Comment rappeler que, dans l’Antiquité, l’hospitalité était une pratique courante, là où aujourd’hui l’hôte se transforme le plus souvent en étranger indésirable et l’hospitalité en hostilité ? Comment rendre compte, inversement, de l’importante mobilisation citoyenne qui soutient et accueille les migrants ? La création contemporaine, par la distance qu’imposent les oeuvres et leurs interprétations, bouscule, interpelle, et nous amène à penser autrement. Les propositions artistiques, qu’elles soient métaphoriques, poétiques, critiques ou engagées, reflètent les déséquilibres du monde.
L’hospitalité est ainsi abordée dans sa double acception. Elle est envisagée du point de vue de celui qui accueille et de celui qui est accueilli. Mais l’exposition dévoile également en creux son voisinage troublant avec son antonyme, l’hostilité.
De quelle manière les artistes explorent et donnent à voir l’urgence de la situation, la précarité et l’invisibilité, l’errance, le désenchantement et la répression ? Et plus généralement, les questions du départ et des circulations, du difficile enracinement mais aussi de la main tendue, du rêve et du désir d’ailleurs ?
Autant de thèmes qui rythment le parcours, laissent aux oeuvres la possibilité de coexister, dialoguer dans une pluralité d’engagements et de lectures, en étroite correspondance avec un regard philosophique. Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc, auteurs de La fin de l’hospitalité, ont été invités à collaborer à ce projet, ponctuant de leurs écrits les chapitres de l’exposition.Persona grata, « personne bienvenue » en latin, résonne ici comme un appel.
Commissariat
- Anne-Laure Flacelière, chargée de l’étude et du développement de la collection du MAC VAL
- Isabelle Renard, cheffe du service des collections et des expositions du Musée national de l’histoire de l’immigration
Le commissariat est accompagné par les philosophes Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère, auteurs du livre La fin de l’hospitalité (Flammarion, 2017).
Lire notre entretienL'exposition au MAC VAL
Avec les oeuvres de : Eduardo Arroyo, Marcos Avila Forero, Bertille Bak, Richard Baquié, Taysir Batniji, Ben, Bruno Boudjelal, Mark Brusse, Pierre Buraglio, Mircea Cantor, Étienne Chambaud, Kyungwoo Chun, Philippe Cognée, Delphine Coindet, Julien Discrit, Thierry Fontaine, Jochen Gerz, Ghazel, Marie-Ange Guilleminot, Mona Hatoum, Éric Hattan, Laura Henno, Emily Jacir, Yeondoo Jung, Bouchra Khalili, Kimsooja, Claude Lévêque, Lahouari Mohammed Bakir, Lucy Orta, Bernard Pagès, Yan Pei-Ming, Cécile Paris, Mathieu Pernot, Jacqueline Salmon, Bruno Serralongue, Esther Shalev-Gerz, Société Réaliste, Djamel Tatah, Barthélémy Toguo, Patrick Tosani, Sabine Weiss...
Commissariat : Ingrid Jurzak, chargée de l’étude et de la gestion de la collection du MAC VAL.
En savoir plus sur l'exposition du MAC VALEn savoir plus sur le partenariat :
Persona grata vue par Alexia Fabre, conservatrice en chef du MAC VAL et Hélène Orain, directrice générale du Palais de la Porte Dorée
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Appels d'urgence
Dans l’imaginaire collectif, il ne peut y avoir d’hospitalité sans l’épreuve de la mer, sans la preuve que le liquide qui sépare deux rives peut ramener des vies à la vie, les débarquer sur une terre plutôt que les exténuer dans le néant de l’eau. L’hospitalité naît d’un appel qui est d’abord une action : tout faire pour quitter son chez-soi, revenir à la vie en se jetant à l’eau sur un bateau de fortune, en espérant qu’il tienne le choc.
Nous nous représentons l’hospitalité comme l’ouverture d’une porte pour laisser entrer un inconnu. Nous avons tort. L’hospitalité renvoie à la fragile trajectoire d’un cargo, navire ou barque qui fraie un chemin jusque dans les eaux territoriales d’une nation tiers. L’hospitalité est liquide, une âme s’écoule vers une autre âme, un corps prend un corps presque disparu entre ses bras et s’emploie à lui restituer une force vitale indispensable. L’hospitalité est alors un petit dispositif précaire. Elle naît de l’appel du large, engendré par l’urgence d’une détresse.
Nos démocraties peuvent-elles encore entendre les appels sans les éloigner au-delà de nos murs ? Sommes-nous à la hauteur de la main qu’un étranger nous tend ? Nous sommes inégaux devant les mers. Pour les uns, ce sont des bains de jouvence, pour les autres, des cimetières potentiels. Pour les uns, ce sont des zones de confort, pour les autres, des frontières sans porte ni fenêtre. C’est ainsi que les uns ont cessé d’être les autres. En laissant les frontières se refermer sur les vies les plus précaires, les vies des exilés sans ressources.
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Désenchantement
On ne naît pas étranger, on le devient. Si l’art a souvent magnifié le noble étranger tel Ulysse, il reste que les migrations contemporaines sont le plus souvent celles de sujets maudits, sans cesse renvoyés aux pièges tendus par les États-nations dominants. Les obsessions sécuritaires créent les hallucinations de « l’étrange étranger » qui ne peut être des nôtres car il a été rendu différent. La différence confortée par les peurs engendre les terreurs et les guerres. Il semble bien que l’étranger soit désormais le mot dans lequel loger toutes les figures de la dangerosité. L’espace qu’il remplit est l’espace de l’hostilité, une lande indéfinie, une entrée-sortie sans avenir, un dedans-dehors permanent.
Être hospitalier n’est-ce pas pourtant montrer à quelqu’un qu’il est persona grata ? La bienvenue est le contraire d’une malvenue. L’expression est en usage chez les diplomates, elle signifie qu’un agent diplomatique a obtenu l’agrément de son propre État ou d’un État-tiers qui l’accrédite car il est désirable. Par contraste, persona non grata signifie être fait indésirable, ne plus avoir les moindres faveurs de quelque État que ce soit.
Et si la diplomatie disait tout haut ce que signifie la langue grise de l’inhospitalité ? Il se pourrait que les campements contemporains, les jungles solidifiées ne soient que l’autre nom de persona non grata. La pulsion de murs, aujourd’hui, semble totale. Un archipel carcéral se dessine, se greffe sur les paysages de lande. Combien de vies oubliées dans des habitations précaires, combien de vies désarrimées du monde commun ?
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La main (dé)tendue
Il existe un monde délabré de l’inhospitalité qui renvoie à nos décisions de ne pas accueillir. Et s’il nous arrive au mieux de secourir des vies dont le pronostic vital est presque engagé, c’est pour les laisser sur le trottoir l’instant d’après, hors de tout dispositif d’accueil. Si nous savons encore secourir, nous ne savons plus accueillir.
Pourtant l’hospitalité est accueil : elle vise à restituer un lieu pour une vie privée de lieu. Toi qui viens, ta venue est suspendue à la possibilité d’une île, d’un bivouac, d’un abri, d’une yourte. Les jungles des exilés n’existent sur aucune carte, ce sont des espaces non représentés, des lieux qui tombent dans le horslieu.
Le lien hospitalier recrée le lieu qui manque à l’exilé. Sans toit, il ne peut y avoir de toi.Pour tendre la main, il faut être deux. L’hospitalité est accueil réciproque.
Le mot « hôte » en français suggère à la fois que l’accueilli est accueillant et que l’accueillant devient accueilli. Le temps de l’hospitalité suspend les relations de pouvoir qui trop souvent confinent l’exilé à la place du pauvre. Dans ce bref instant où chacun dit à l’autre, « viens je suis là », une grâce interrompt la pesanteur du pouvoir. Ce bref instant n’annule pas les check-points, les centres de rétention, les unités mobiles de contrôle, les délits de solidarité, mais parvient à les suspendre.À cette condition seulement l’hospitalité peut devenir échange.
Focus autour d'une œuvre : The Parle Ment Metal Man Offering Drinks de Laure Prouvost (2017)
Laure Prouvost travaille plusieurs mediums pour donner corps à des récits, histoires personnelles ou fictions. Si la vidéo demeure son terrain privilégié, sa pratique procède avant tout du collage, de la combinaison de sons et d’images.
Ses installations nous placent dans une expérience intime. Elles réveillent nos sens et nos émotions. Les silhouettes des Metal Men s’adressent au public dans une forme de proximité et de dialogue. Ces personnages s’expriment à travers des écrans vidéo qui constituent leurs têtes, sur lesquels défilent des expressions et gestes d’hospitalité. "We just love you, You are welcome to make this place home, Please come and meet us all..." / "Nous t’aimons / Bienvenue, tu es ici chez toi / S’il-te-plaît, viens à notre rencontre..."
Ces paroles de bienvenue et de réconfort réinscrivent la nécessaire ouverture à l’autre et dénoncent l’indifférence de nos sociétés. Les sculptures accueillent, offrent du thé... L’artiste les nomme Parle Ment Metal Men, jouant des mots, de leurs significations et des possibles interprétations d’une langue à l’autre.A travers un moment de partage, Laure Prouvost propose une réalité à construire.
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Should I stay or should I go ?
Vivre ensemble, c’est mettre fin à l’hospitalité. Rien ne serait pire que d’être éternellement hospitalier. Ce serait comme laisser quelqu’un à l’entrée de sa maison en lui disant, « je vous en prie, faites comme chez vous ». Cette phrase annule la possibilité d’être chez soi en maintenant la distance entre le citoyen d’une nation et son visiteur du soir. Comment celui-ci peut-il devenir un véritable résident ?
Il existe un en-deçà de l’hospitalité : le secours, véritable obligation humanitaire à l’égard de l’autre en détresse.
Il existe également un coeur de l’hospitalité : l’accueil.
Il nous faut penser un au-delà de l’hospitalité, l’appartenance.
Rien n’est pire que de ne plus appartenir. L’exilé en quête de refuge mais aussi de droit, de travail et d’avenir est celui qui a cessé d’appartenir. La seule option qui lui reste est celle du départ.
Quels sont les dispositifs durables par lesquels nous conférons une place aux exilés d’aujourd’hui ? Les foyers de travailleurs migrants, les grands ensembles des années 1960 et 1970 ont été conçus comme des lieux de vie. Où sont-ils aujourd’hui quand le moindre espace créé est aussitôt démantelé ?Aussi, nous faut-il changer la perspective et nous demander si celle ou celui qui vient d’ailleurs a vraiment envie de rester ici.
« Should I stay or should I go ? » devient le choix radical d’une vie qui ne se laisse plus ramener au format administratif de l’identification. Il n’est plus la part maudite, il expérimente une part de liberté qu’il fait jouer dans les trous du système.Focus autour d'une œuvre : Streamside Day de Pierre Huyghe (2003)
L’œuvre de Pierre Huyghe se situe dans un territoire énigmatique, entre fiction et réel. Le film Streamside Day, réalisé durant la résidence de l’artiste à la DIA Foundation de New York, raconte une histoire en train de se faire, la naissance d’un village et d’une communauté. Il donne à voir la création d’un lotissement à Streamside Knolls, dans la vallée de l’Hudson, au nord de New York. Des gens venus d’ailleurs s’installent dans cet endroit, en lisière de forêt, pour vivre au plus près de la nature.
Le temps du voyage fait se connecter le passé, enfoui dans les bagages, et le futur si proche, à inventer.
L’avènement d’une communauté en construction engendre une célébration qui pourrait devenir un rituel. Pierre Huyghe imagine de toutes pièces une fête de bienvenue, avec défilé, discours et concert, sujet de Streamside Day.Conçu comme un documentaire, son film bascule cependant vers la fable et le fantastique.
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Désirs d’horizons
Le plus souvent, les exilés trouvent refuge dans un pays voisin. L’horizon imaginaire de la mer ne disparaît pas pour autant. Nous la pensions frontière, cimetière, elle scintille aussi comme un espace interminable, indéterminé, sans limites, sans drapeau qui la représente. Dans cet espace autre, c’est toute notre vie politique qui se réinvente. Voir l’infini comme ultime horizon, c’est comprendre que le monde ne s’arrête pas aux frontières, que nous sommes, comme le disait le philosophe Pascal, « embarqués ». Tout départ est une façon de mettre les voiles, de recommencer, de signifier que le réel n’est pas refermé.
Le roman de la migration ne relève pas de la seule obsession sécuritaire. Il creuse les sillons liquides des formes de vie hybridées qu’aucune frontière ne peut bloquer. Il donne la parole aux voix mélangées qui font aussi notre monde. Ce monde est bien celui auquel tout le monde prend part. La mer n’est pas que récif, elle est aussi récit, récital, récitation. De toutes les voix déclarées perdues, déclarées vaincues. Par elles, l’utopie politique reprend corps.Redonner forme à cette utopie, c’est accepter que la politique ne soit pas une guerre de tous contre quelques-uns mais un art des individus. Il nous faut réinventer une politique de la bienveillance en laquelle chacune, chacun peut dire à voix haute : que faites-vous de moi ?
Sommaire
Parcours de l'exposition :
Programmation autour de l'exposition
Visites guidées de Persona grata
Hospitalité, entre éthique et politique
Migrations en Méditerranée : le naufrage de la solidarité ?
Les Ciné-Voyageurs
Ouvre-moi la porte
Informations pratiques
Adresse
Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil
75012 Paris
Horaires d'ouverture
- du mardi au vendredi de 10h à 17h30 (fermeture de la billetterie à 16h45)
- le samedi et le dimanche de 10h à 19h (fermeture de la billetterie à 18h15)
Nocturne le mercredi jusqu'à 21h (sauf les 26/12 et 02/01)
Fermé le lundi.
Tarif
Tarif unique sur place : 6 €.
Ce tarif inclut le droit d’entrée à l’exposition permanente et aux expositions temporaires du Musée.
L'entrée est gratuite pour les moins de 26 ans et pour tous le premier dimanche de chaque mois.
Billet hospitalité
Chaque visiteur est invité à parrainer un ami en lui donnant son billet après la visite de l’exposition. Le billet donnera à cette deuxième personne la possibilité de visiter gratuitement l’exposition pendant 15 jours après la date d’édition du billet.
Réservations pour les groupes : reservation@palais-portedoree.fr
Persona grata au MAC VAL
Du 16 octobre au 24 février 2019
- Du mardi au vendredi de 10h à 18h
- Le samedi, le dimanche et les jours fériés de 12h à 19h
Tarif : 5 € / 2,5€
Gratuit pour les moins de 26 ans.
Une entrée achetée dans l'un des musées, vous donne accès à l'autre musée gratuitement
Les ressources en ligne
Accueil, réfugiés, exil, passage des frontières : le regard des artistes
- Collections : La collection d'art contemporain du Musée national de l'histoire de l'immigration
- Exposition : Retrouvez les contenus en ligne autour de l'exposition : J'ai deux amours. Une présentation des collections d'art contemporain du Musée national de l'histoire de l'immigration
Accueil, réfugiés, exil : l'approche des historiens et des sociologues
- Table des repères : Terre d'accueil, France hostile
- Podcast : Une France terre d'accueil. Proscrits, exilés et réfugiés, 1813-1852. Une conférence de Delphine Diaz
- Podcast : Frontières, nation et étrangers, en France au XIXe siècle. Une conférence de Laurent Dornel
- Podcast : La Fraternité à l'épreuve des enjeux du XXe siècle. L'exemple de la Ligue des Droits de l'Homme, 1898-1940
- Podcast : Les réfugiés européens. Une conférence de Dzovinar Kevonian
- Dossier thématique : Le Front populaire et les étrangers
- Podcast : La vie psychique des réfugiés. Pour une clinique de l’asile. Une Conférence d'Elise Pestre
- Podcast : Entre discrimination et racialisation. Les nouvelles frontières de la société française. Une conférence de Didier Fassin
- Podcast : Politiques européennes et pratiques des migrants. Une conférence de Serge Weber
Frontières et circulations
- Exposition : Retrouvez les contenus en ligne développés à l'occasion de l'exposition Frontières présentée au Musée du 10 novembre 2015 au 3 juillet 2016
- Podcast : Migrations clandestines oubliées. Une conférence de Victor Pereira
- Podcast : Habiter la frontière. Paysages et figures cosmopolites. Une conférence de Michel Agier
- Podcast : Passeurs et passages. Le "marché" de la migration et ses acteurs (1990-2010). Une conférence de Virginie Giraudon
Pour aller plus loin
Partenaires
Partenariat média
En partenariat avec :
MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne.
www.macval.fr
Le Musée national de l'histoire de l'immigration et le MAC VAL - Musée d’art contemporain du Val-de-Marne – s'associent dans un projet qui interroge la notion d'hospitalité́ à travers le prisme de la création contemporaine.
Les deux institutions - un musée de société qui valorise la création contemporaine et un musée d’art contemporain qui questionne les phénomènes de société - proposent ensemble Persona grata, une exposition en deux lieux et une large programmation, dans laquelle les artistes abordent avec leurs propres vision et sensibilité toutes les dimensions de ce qui construit ou bouscule les notions d’accueil et d'altérité.
Site internet commun : personagrata.museum