Habiter un monde en mouvement
Les bouleversements climatiques fragilisent des territoires entiers et contraignent des millions de personnes à repenser leur manière de vivre. Quand des facteurs environnementaux rendent un lieu difficilement habitable, la migration apparaît comme une réponse possible. Mais partir n’est pas seulement fuir : c’est aussi inventer une autre manière d’habiter le monde. À l’occasion de l’exposition Migrations & climat au Palais de la Porte Dorée (17 octobre 2025-5 avril 2026), ce numéro explore cette réalité. En croisant analyses scientifiques, récits de terrain et témoignages mémoriels, il met en lumière une évidence trop souvent occultée : les migrations ne se réduisent pas à l’exil, elles sont aussi une ressource face à la transition écologique.
Migrations et stratégies d’adaptation
Les articles réunis à la suite d’un appel à contributions lancé par le chercheur François Gemenne déconstruisent les clichés autour des « migrants climatiques », perçus avec fatalisme comme une menace. En Afrique de l’Est, dans le Sahel ou en Côte d’Ivoire, les mobilités constituent une stratégie d’adaptation : diversifier les revenus, maintenir des attaches locales, soutenir un environnement fragilisé par les sécheresses à répétition et la dégradation des sols. En Irak ou en Éthiopie, les crises écologiques et politiques se combinent et transforment ces mobilités en migrations de survie, souvent irréversibles et sous contrainte. Ces études de terrain posent une question centrale : jusqu’où un territoire reste-t-il (in)habitable ? La réponse n’est jamais uniforme sur les seuils critiques qui poussent à la mobilité. Socialement distribuée, cette dernière dépend du genre, de l’âge, des ressources économiques, de la gouvernance locale ou de la perception du risque. Certains peuvent partir en mobilisant des ressources, d’autres demeurent piégés, faute de moyens. Ces décalages rappellent que la migration est autant une question sociale et politique qu’écologique.
D’autres articles analysent la place des migrations climatiques dans le champ juridique et politique. Le droit international peine encore à reconnaître ces mobilités en vertu de leur contexte, laissant de nombreuses personnes dans un vide juridique. Pourtant, des institutions et des programmes de réinstallation commencent à prendre en compte leurs spécificités.
Des articles analysent enfin les récits des migrants eux-mêmes, ceux liés à la gestion de l’eau au Maroc et au Mexique, ceux sur les expériences migratoires en Italie ou au Groenland, un territoire perçu comme menacé et pourtant nouvelle terre d’accueil. Ces récits nous disent que migrer n’est pas seulement survivre, c’est aussi chercher à préserver sa dignité et l’opportunité de se construire un avenir. Ils nous rappellent que la migration est aussi une expérience vécue de résistance et de réinvention.
Des initiatives collectives
Au-delà des parcours individuels, des collectifs développent des solutions locales. Du Maroc au Bangladesh, en passant par la France, et dans plusieurs régions du monde, les ONG Migrations & Développement, le Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural (GRDR), Friendship et les associations soutenues par l’Agence française de développement (AFD) mettent en œuvre des projets qui conjuguent gouvernance territoriale, aide humanitaire, formation, transmission de savoirs et innovations techniques. Ces initiatives démontrent qu’il est possible d’articuler résilience des territoires et dignité des personnes. Elles interrogent en profondeur la relation entre transition écologique, mobilité humaine et développement durable.
Une habitation symbolique
Enfin, habiter le monde, c’est aussi le faire symboliquement. Le programme de recherche Causimmi sur la cause immigrée a consacré sa dernière chronique dans la revue, après deux années de collaboration fructueuse, aux luttes mémorielles des migrations en France. Films, archives, lieux de mémoire et associations rappellent l’existence de pages longtemps effacées du récit national. Ces initiatives permettent de préserver des traces, de transmettre des héritages, et de réinscrire les migrations passées dans l’histoire collective. Ainsi, migrer n’est pas renoncer à son histoire, c’est chercher à l’inscrire autrement, dans un monde en constante transformation.