Chronique livres

Sylvain Tesson, Un été avec Homère

Paris, éd. des Équateurs / France Inter, 2018, 253 pages, 14,50 €

Journaliste.

Depuis 2 700 ans, l’Iliade et l’Odyssée accompagnent la marche des hommes qui ont laissé l’Olympe à ses dieux, préférés l’absolu monothéiste aux multiples du paganisme, des philosophies de système à une mythologie polytrope, et pour finir, sont passés d’Homère à BFM TV. Avec ce recueil de chroniques données sur France Inter, Sylvain Tesson offre sa lecture d’Homère, histoire, c’est lui-même qui le dit, d’aller y regarder par soi-même. Conseil d’autant plus avisé que l’écrivain place l’épopée en miroir avec l’époque et, en dépit de l’avalanche d’éloges (souvent justes) qui a suivi la sortie du livre, il faut du recul pour apprécier le biais misonéiste de cette lecture. Oui, Tesson montre bien que cet Homère n’a rien perdu de sa pertinence. Qu’il s’agisse des dangers de la violence (« l’hubris ne s’éteint jamais »), de la « démesure », appliquée au pillage de la planète ou aux dérèglements de « la machine universelle », de l’éloge de la joie de vivre (déjà célébrée dans l’épopée de Gilgamesh il y a… 3 700 ans), de « l’enchantement du réel » versus tous les paradis – égayés ou non de vierges –, de la dénonciation du présentisme ou des réseaux sociaux, « entreprises de désagrégation automatique de la mémoire », etc. Tout cela est réjouissant. Homère en rougirait.

D’autant que Tesson a du style. Il écrit à la hussarde. Un brin martial, il sabre, virevolte, risque le déséquilibre mais, parfois, la formule fait plouf. Surtout avec ses marottes : patrie, racines, identité, migration. Sans oublier Freud, Bourdieu ou « la triste grille de lecture socio-marxiste ». Tesson, peut-il tout dire ? Oui ! Mais son peu de finesse sociologique le conduit à louer les hiérarchies au prétexte qu’elles seraient nées des dispositions naturelles, à préférer l’aristocratie à l’« hideux principe de l’égalité » et à affirmer que « la beauté du monde est assujettie à l’injustice » ! Même bouillon avec le legs d’Ulysse : « L’homme européen a fouillé le monde. Mieux ! C’est lui qui a manifesté un intérêt pour ce qui était autre que lui-même. » Point barre !

Pour Tesson, l’Odyssée est d’autant plus un « chant du retour » que « tous les malheurs… viennent de n’être pas à sa place ». Il faut donc rentrer chez soi. Mieux ! Rester chez soi. « Ce qui est planté ne ment pas. » Éloge des racines donc malgré Destienne ou Cassin ou les recherches d’Emanuele Coccia sur… les plantes. Mais, soucieux de préserver l’image homérique d’une humanité mosaïque, Tesson, fixiste, appelle à « conserver sa singularité » : « Maintenez la distance si vous tenez à la survie du divers ! » C’est désormais au nom même de la diversité qu’il faut fustiger les mélanges…

Ulysse est un héros, comme lui « il ne faut pas dévier de sa course ni renier les objectifs fixés. (…) Ne jamais oublier l’individu que l’on est, ni l’endroit d’où l’on vient, ni l’endroit où l’on va ». Rien à voir avec « nos » « faibles » migrants : « être une victime, voilà l’ambition du héros d’aujourd’hui ». Pourtant, de « longueur de vue », les migrants ne manquent pas et c’est faire injure à deux siècles de migrations que de laisser entendre le contraire. Mieux ! C’est souvent le courage et l’héroïsme des exilés qui contribuent au retour d’un peu de justice dans les modernes Ithaque.

L’hospitalité de papa Homère ne serait plus de mise. Pourquoi ? Parce que Tesson redoute la « démesure » des flux – que contredisent statistiques et spécialistes. On craint le pire quand, commentant le siège de Troie, il empoigne « les promoteurs d’une planète aplatie, sans nations ni frontières » : « Les uns arrivent de la mer, les autres vivent dans l’opulence. Les uns envahissent les autres se protègent. Message d’Homère pour les temps actuels : la civilisation, c’est quand on a tout à perdre ; la barbarie c’est quand ils ont tout à gagner. » N’était le style, on est au café du commerce. Ou pire ! Sur un plateau de BFM TV, ce qu’abhorre le passeur d’Homère.