En Meurthe-et-Moselle parmi les Africains du Nord

Cahiers Nord-Africains, n°88, février-mars 1962

Image
Couverture du numéro 88 des Cahiers Nord-Africains : En Meurthe et Moselle parmi les Africains du Nord

Des liens migratoires séculaires unissent la Lorraine et l’Algérie. Ils ont débuté au XIXe siècle lorsque des Lorrains sont partis tenter leur chance vers l’Algérie occupée par la France dès 1830. Néanmoins, la présence massive des Algériens en Lorraine est avant tout liée au développement industriel de cette région. Ce numéro des Cahiers Nord-Africains restitue une enquête sur la présence des travailleurs nord-africains dans la région.

Après l’arrivée des troupes coloniales au cours de la Grande Guerre, c’est à la fin des années 1930 que la migration venue d’Algérie, devient massive dans les bassins industriels de Moselle et Meurthe-et-Moselle. A partir de 1936, les Algériens, considérés comme français, ont profité pendant quelques mois de la "préférence nationale" imposée par la loi de 1932 au détriment des ouvriers étrangers européens privilégiés jusque-là. Divers organismes non gouvernementaux reconnus par la préfecture de Moselle ont alors pris en charge les premiers mineurs algériens. À Metz, une structure d’accueil nommée "Dar el Askri" a permis un encadrement des nouveaux arrivants algériens mais c’est surtout la Fédération Nationale des Nord-africains en France qui était le principal relai en matière de recrutement. Toutefois, l’aide apportée par ces structures ne permit pas aux autorités de Lorraine d’effectuer un réel contrôle sur les migrants algériens. Très vite les rapports préfectoraux ont signalé que l’introduction des Algériens se faisait par "petits paquets provenant généralement d’un même village" (Archives Départementales de Moselle, 310 M 61, lettre de la FNdNA au préfet de Moselle) sans possibilité de maîtrise.

Lorsque les hostilités ont été déclenchées entre la France et l’Allemagne, à partir de la Drôle de Guerre, les autorités n’ont pas hésité à solliciter, comme pour la Grande Guerre, les troupes "indigènes" en allant chercher à nouveau des hommes en Afrique du Nord. C’est ainsi, que les soldats algériens ont fait partie des régiments qui ont défendu la ligne Maginot. Après la débâcle militaire, en 1942, près de 44 000 prisonniers "indigènes" sont répartis dans vingt-deux Frontstalags en France et en Lorraine les prisonniers algériens ont été affectés au travail minier.
À la Libération, pour parvenir à contrôler la venue de main-d’œuvre sur le territoire métropolitain, l’État français à mis en place l’Office National d’Immigration (ONI). Pourtant, si cet Office s’occupait d’aller chercher des étrangers, il n’avait aucune prérogative avec les Algériens puisque ces derniers restaient français mais avec des statuts particuliers obtenus en 1947. Leur arrivée en Moselle s’est effectuée dans le cadre de la liberté de circulation et de l’égalité des droits reconnues par la loi du 20 septembre 1947 portant sur le nouveau statut de l’Algérie. Ne pouvant solliciter l’ONI pour les faire venir dans l’hexagone, le Conseil National du Patronat Français, créé en 1945, s’est mis très tôt en relation avec le Patronat d’Algérie. L’ouverture, à Alger, d’un Centre de Liaison des Employeurs Métropolitains permit d’effectuer les recrutements en lien avec l’Inspection du Travail de Moselle. Ces institutions fixaient les contingents de travailleurs algériens envoyés par l’Algérie.

Image
Cahiers Nord Africains n°88 - graphique
Nord-Africains recensés au travail en Meurthe-et-Moselle, extrait du Cahiers nord-africains, n°88, 1962 © Cité nationale de l'histoire de l'immigration

L’encadrement social des populations venues d’Algérie sera effectif dans les années 1950 au moment où les autorités prendront conscience que les Algériens constituaient une main-d’œuvre française particulière avec des besoins spécifiques.

Dans cette optique et dans le cadre d’une volonté politique de contrer la montée des revendications nationalistes, divers organismes sont créés pour répondre aux exigences propres à ce qui était qualifié alors de "populations musulmanes". Les compétences en matière d’aide sociale en faveur de la population algérienne sur le territoire métropolitain étaient réparties entre la nouvelle Sécurité Sociale et le secrétariat d’Etat au Travail ainsi que le ministère d’Etat à la Santé Publique et à la Population mais également le ministère de l’Intérieur et celui de l’Éducation nationale. A côté du Fonds d’Action sociale et de la SONACOTRAL sera institué le Service des Affaires Musulmanes et de l’Action Sociale (SAMAS) chargé de la mise en œuvre d’une action administrative, morale, psychologique, sociale et éducative en faveur des migrants algériens. Mais c’est principalement sur la base de leur réseau de connaissances personnelles que les Algériens ont déterminé les différentes étapes de leur trajectoire migratoire.

Si les effectifs de Nord-africains ont augmenté lentement mais régulièrement à partir de la Libération, la période de la Guerre d’Algérie marque un ralentissement dans les arrivées et un changement dans le statut des Algériens. Après 1962, sur le territoire des quatre départements de Lorraine les Algériens arrivent parmi les trois nationalités étrangères les plus représentées et en 1969 ils sont en deuxième position.

Piero Galloro

L’ensemble des Cahiers nord-africains, et des Documents nord-africains, est conservé au centre de ressources Abdelmalek Sayad et est disponible à la consultation. Les deux titres ont également été numérisés et sont consultables via le portail documentaire de la médiathèque.

Pour en savoir plus :

À l’occasion de l’exposition Vies d’exil - 1954-1962. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie présentée au Musée du 9 octobre 2012 au 19 mai 2013, un numéro des Cahiers est présenté sur le site chaque mois :