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17 octobre 1961, 17 écrivains se souviennent

Dans le cadre de la commémoration du cinquantième anniversaire de la manifestation du 17 octobre 1961, l’association Au nom de la mémoire a pris l’initiative de publier un livre rassemblant les contributions de 17 écrivains, hommes et femmes, français et algériens, lointains "héritiers" sans testament ou porteurs de mémoire.

Il y a dix ans, elle avait demandé à des dessinateurs de presse, des caricaturistes de plancher sur le sujet. Cela avait donné un très beau et très suggestif recueil de dessins et de caricatures. Place donc aujourd’hui à la littérature avec Gérard Alle, Jeanne Benameur, Maïssa Bey, Bernard Chambaz, Mehdi Charef, Madgyd Cherfi, Didier Daeninckx, Dagory, Abdelkader Djemai, Salah Guemriche, Tassadit Imache, Mohamed Kacimi, Mehdi Lallaoui, Samia Messaoudi, Michel Piquemal, Leila Sebbar et Akli Tadjer. Autant de sensibilité et d’écriture qui expriment, dans des textes courts, puissants et innovants, les résonances plurielles et ambivalentes du 17 octobre 1961.

Petit rappel. Il y a cinquante ans, des Algériens et des Algériennes défilent dans les rues d’un Paris gris et pluvieux. Ce soir là, le mardi 17 octobre 1961, endimanchés et confiants, ils marchent pour protester contre le couvre-feu qui leur est imposé par la préfecture de police dirigée par Maurice Papon. Obéissant aux consignes musclées des militants du FLN, le peuple algérien des faubourgs manifeste. La police française, surchauffée par le climat de guerre qui règne depuis des mois dans la capitale, assurée d’être "couvert" par sa hiérarchie, entend régler des comptes. Sur les ponts, aux sortir des bouches de métro, aux carrefours, les souricières sont dressées contre l’inoffensive proie. Les Algériens avancent pacifiquement, respectant scrupuleusement les ordres du FLN. Selon les sources, le nombre des victimes varie de trente à cinquante (Jean Paul Brunet) à plus de trois cents morts (Jean-Luc Einaudi). Au soir du drame, il n’est question, officiellement, que de trois morts. Pas un de plus. Silence. Black-out total. 50 ans de mutisme et de déni officiel. L'Etat continue à nier les faits et empêche, sous couvert de raison d’Etat, de faire toute la lumière sur cette incroyable répression. La plus meurtrière depuis celle qui s’abattit sur la Commune de Paris.
Le 17 octobre 1961 est une tache rouge dans l’histoire nationale, une date noire dans les consciences. Cette plaie toujours ouverte dans l’histoire de la République et des hommes est ici disséquée par des plumes sensibles, pénétrantes ou tranchantes. Les textes, tantôt intimes, poétiques, fiévreux ou nostalgiques, collent au plus près des hommes, des femmes et des enfants qui furent, malgré eux, les acteurs et parfois les victimes du drame. C’est leur quotidien, banal et tragique, qui transpire de ces lignes : ici, un écolier enamouré, là, une petite fille née de mère française et de père algérien, un policier supporter de l’équipe de football de Reims ou un médecin généraliste en mal de confessions. Les hasards des calendriers personnels télescopent les dates et, au 17 octobre 1961 répondent, comme en miroir, la mort d’Henri Michaux, l’annonce du prix Nobel décerné à Albert Camus, l’été 42 ou les "Dégage !" scandés par d’autres manifestants. Un déjeuner de famille ou des objets anodins - des chaussures, un violon, des lettres d’immigrés… - ouvrent sur un monde, une société. Des vies. La ville, ses lumières et ses immeubles, ses rues et ses trottoirs mouillés, souillés de rouge sang, défilent au gré des souvenirs et des déambulations : la Seine, omniprésente, le canal Saint-Martin, les ponts, celui de Bezons ou de Neuilly. Le pont Saint-Michel aussi. Le Rex… L’habitacle providentiel d’un taxi ou le fantôme de l’île Seguin, l’usine Renault à Boulogne-Billancourt.
Cette manifestation du 17 octobre 1961 fut à l’origine de la création d’Au nom de la mémoire en 1990. Mehdi Lallaoui et Samia Messaoudi, les chevilles ouvrières de l’association, sont les enfants de manifestants du 17 octobre 1961. Dans le grand barnum mémoriel, l’association donne à entendre une autre petite musique. En se situant dans le champ du savoir et non dans celui de l'imprécation, elle souhaite participer aux nécessaires évolutions et débats de la société française, contribuer à construire la citoyenneté de demain, lutter contre les discriminations et autres préjugés du moment pour consolider, plutôt qu’affaiblir , le "vivre ensemble".
Ces 17 textes, nouvelles ou poèmes, différents et complémentaires, forment un kaléidoscope précieux et lumineux de cette soirée d’automne où des immigrés algériens s’enfonçaient dans la nuit parisienne. Avec 17 octobre 1961, 17 écrivains se souviennent, Au Nom de la mémoire poursuit son engagement, en permettant à la littérature d’aider à désenclaver les esprits et les cœurs pour aller à la rencontre de l’autre.

Mustapha Harzoune

17 octobre 1961, 17 écrivains se souviennent (collectif), édition Au nom de la mémoire, 2011, 217 pages, 18 euros.

Voir aussi

Exposition Vies d’exils. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie 1954-1962
Du 9 octobre 2012 au 19 mai 2013 à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration
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