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Inland

Ineland, second long-métrage de l’auteur, nous entraîne dans l’arrière-pays algérien, les paysages arides de l’Ouarsenis, presque le désert. Il y livre un regard sans aménité sur une Algérie qui n’en finit pas de sombrer à cause d’une économie dilapidée, d’un autoritarisme spoliateur de libertés publiques et privées, d’un conformisme religieux rétrograde et cohercitif.

Rome plutôt que vous révélait un style. Bourré de citations littéraires et cinématographiques (l’auteur avait précédemment étudié la philosophie et les arts plastiques). Un regard sans aménité sur une Algérie qui n’en finit pas de sombrer à cause d’une économie dilapidée, d’un autoritarisme spoliateur de libertés publiques et privées, d’un conformisme religieux rétrograde et cohercitif. Ce premier film de Tariq Teguia, sorti sur les écrans en 2008, créa un choc. Perle rare. Diamant noir incisé au scalpel dans la gangue d’une cinématographie elle aussi sacrifiée, saccagée malgré de belles espérances. Après l’échappée fourvoyée de Kamel et Zina, amoureux incertains, indécis et oisifs dans une Algérie faussement balnéaire (où l’on peinait à reconnaître La Madrague, plage en vogue aux environs d'Alger) Ineland, second long-métrage de l’auteur, nous entraîne dans l’arrière-pays, les paysages arides de l’Ouarsenis, presque le désert. Ailleurs et plus loin, mais avec la même persévérance dans ses choix, le même refus des compromis, les mêmes exigences. Encore une fois le résultat est sidérant, favorisé sans doute par des facilités de tournage dont n’avait pas bénéficié Rome plutôt que vous ( 8 années pour mener à bien la réalisation !). Malek a la quarantaine et exerce un métier reconnu d’utilité publique. Finies les errances et les vaines rébellions ou les passages à vide de l’adolescence, malgré le poil hirsute et le regard parfois fulgurant, il semble un homme sérieux, presque austère. Abdelkader Affak, acteur non professionnel, comme l’ensemble des interprètes, rend particulièrement sensible ce mûrissement pas tout à fait accompli. Il vient tout juste de rejoindre son nouveau poste : cet agrégat de hameaux misérables où il doit effectuer des relevés topographiques pour le compte d’un bureau d’études d’Oran, en vue d’une future électrification (cinquante années après les promesses de l’Indépendance et le gâchis de la manne pétrolière !). Dans un passé plus récent, la zone semble avoir de surcroît eu beaucoup à souffrir de la présence des terroristes islamiques. Les autorités locales dont on devine les rivalités, les magouilles et l’incompétence, le reçoivent sans aménité. Son logement « de fonction » , gourbi à l’abandon, est une sorte d’algéco délabré où les occupants précédents n’ont laissé que des détritus et des graffitis. La population, trop blasée et misérable pour croire en sa mission, l’ignore ou se tient à distance. Quant aux quelques « élites » rescapées de ce naufrage autour d’une table de bar où coule la bière, ils noient le temps et l’impuissance dans des querelles de mots, des délires d’idées, croyant sous le verbe creux et l’ivresse, entrevoir l’ère des lumières. Aussi quand va se présenter une échappatoire sous les traits d’une femme africaine, offrant une présence tendre et charnelle et, en partage, un refus du fait accompli, son sang qui se figeait dans la solitude, ne fera qu’un tour, sans détour, sans retour. Car la contrée commence à connaître, comme la énième plaie d’Egypte, les cohortes traquées de candidats au travail clandestin, en route vers leur décisive étape maritime. Prêts à tout pour déjouer les pièges du destin. Comment dire si la lumière qui irradie ce film est aurorale ou crépusculaire ? Le désert pulvérulent dessine des épures dans le clair-obscur. On ne connaît pas la vie qui se cache au-delà des brumes. Laconique comme du Camus ou du Becket, il ne murmure que l’essentiel. André Videau
Inland Film algérien de Tariq Teguia Avec Kader Affak, Ahmed Benaissa, et Ines Rose Djakou Durée : 2h18 mn