Conférences et débats

L’histoire de l’art, entre race et nation, 1870-1945

Conférence d’Éric Michaud, École des hautes études en sciences sociales, animée par Marianne Amar , responsable de la recherche, Cité nationale de l’histoire de l’immigration.

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Employé de l’Institut anthropologique de l’université de Kiel en 1932 © Roger Viollet
Institut anthropologique de l’université de Kiel en 1932 © Roger Viollet

En héritant du mythe racial d’une noblesse fondée sur "l’invasion franque", les Français ont eu, les premiers en Europe, cette obsession de la supériorité germanique, remarque Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, en 1951. C’est sur cette obsession que se sont ensuite greffées les théories raciales françaises.
Ces analyses font écho à ce qu’écrivait Guizot en 1820 : à ses yeux, la Révolution française avait constitué la bataille décisive que s’étaient livrées en France "la race conquérante et la race conquise", après plus de treize siècles de lutte. La même année, Augustin Thierry relevait, de son côté, "l’antipathie de race" qui divisait encore la nation française. En vérité, ajoutait l’historien, presque tous les peuples de l’Europe portent l’empreinte des conquêtes du Moyen-âge. Les classes supérieures et inférieures d’aujourd’hui ne sont que les peuples conquérants et les peuples asservis d’une époque antérieure. "La race des envahisseurs est restée une classe privilégiée, dès qu’elle a cessé d’être une nation à part".

L’opposition des "races germaniques" aux "races latines" s’est ainsi constituée au cœur du romantisme européen, au début du XIXe siècle, dans ce retour des "invasions barbares" en réaction aux Lumières, à la Révolution française puis à l’empire napoléonien. Et c’est cette opposition qui s’est imposée durablement comme le modèle d’interprétation le plus banal des productions culturelles. Ce modèle, qui traverse la très longue querelle sur les origines du style gothique, anime la trop fameuse Histoire de l’art d’Élie Faure, constamment rééditée jusqu’à nos jours et dont on oublie combien elle s’inspire des thèses de Gobineau. Il ressurgit à la fin des années 1920 à propos de Picasso et de Matisse. Il structure enfin la vision de l’art du premier XXe siècle que proposent, dans les années 1930, René Huyghe en France ou Herbert Read en Angleterre.  

 

Repères bibliographiques autour de la conférence proposés par la Médiathèque Abdelmalek Sayad.