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Aux armées citoyens ! Infiltration

Une fois encore, un film de Dover Karashvili, réalisateur israélien d’origine géorgienne, ne fera pas consensus. Après les rires grinçants provoqués par Mariage tardif (2002) qui faisait exploser "à l’italienne" la petite minorité exubérante venue de Géorgie et la charge, encore plus ciblée et irrévérencieuse, de Cadeau du ciel (2006) où népotisme, cousinage et consort, soudaient un réseau de bagagistes mafieux pilleurs d’aéroports, voici une Infiltration dans l’Etat hébreu, par principe inter-communautaire et que le film se devrait d’exalter en présentant une séquence de formation militaire à vocation éducative et curative pour jeunes conscrits inconvenants.

Contre toute attente des bien-pensants, il s’agit plutôt de prendre sur le fait les agissements disparates et répréhensibles de Tsahal, proclamé creuset de la nation, tabernacle des valeurs patriotiques et religieuses.
Au camp n°4, dans le désert du Néguev, sont regroupés des fortes têtes et des esprits faibles, des Askhénazes et des Sépharades, des sabras et des kibboutzniks, des natifs des quartiers pieux et riches de Jérusalem et des habitants des bidonvilles.
Nous sommes en 1956, il s’agit, sans distinction, d’apprendre à faire la guerre en trois mois, dans une atmosphère épuisante de températures excessives et de virilités exacerbées. Les individualités l’emportent sur les rapprochements, les compétitions ou les fractures communautaires. Il n’y a même plus de clan géorgien, pas davantage de héros ou de rebelle confrontés au mythe national. Voilà Peretz le dingue, Zero zero le rescapé des camps, Avner (Gay Adler) le beau gosse ténébreux et insoumis, Sammy le délinquant à l’orientale, Alon aux airs supérieurs (Oz Zehavi) qui voudrait rejoindre une unité de parachutistes, Ben Hemo (Assaf Ben Shimon) homosexuel venu du Maroc francophile qui fait vibrer dans le dortoir une lascive Marseillaise… Tous soumis aux brimades d’une poignée de gradés pervers.
Pour se débarrasser d’un film aussi inclassable et irrécupérable, on peut l’écraser sous le mépris. Trouver des analogies diffamatoires avec les Bidasses ou la 7ième compagnie. On peut aussi viser trop haut. Faire référence à Kubrick (Full metal jacket) ou Altman (M.A.S.H). On peut plus simplement situer l’œuvre dans son contexte. Cette chronique de quelques jeunes gens en perte d’innocence et inaptes aux valeurs transcendantes de leur état pionnier, est l’adaptation fidèle d’un célèbre roman de Yehoshua Kenas. Il participe sans démériter à un courant du jeune cinéma israélien qui bouscule les tabous et use sans vergogne d’une ironie décapante. On peut le comparer, cette fois-ci sans outrecuidance, aux films de Eytan Fox. Et se laisser prendre par l’émotion d’un violon sur le toit qui joue du Schubert.

André Videau

Infiltration (Hitganvut Yechidi)
Un film de Dover Kosashvili, 2011
Avec Guy Adler, Oz Zehavi, Michael Aloni
Durée : 1h56