Culture et diversité

Les gloires de la cimaise et du piedestal

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L'homme ne vit pas seulement de pain #2, une œuvre de Taysir Batniji
Taysir Batnij puise son inspiration dans son parcours personnel mais aussi dans l’histoire et l’actualité. L'homme ne vit pas seulement de pain #2 est une « sculpture installation » qui renvoie à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Savons de Marseille gravés sur socle.
© EPPPD-MNHI, © Taysir Batniji. Courtesy Galerie Eric Dupont, © Adagp, Paris, 2021

Du XXe siècle…

Au XXe siècle, dans le Paris cosmopolite de l’entre-deux guerres, autour de l’école de Paris ou des surréalistes, souffle un vent de liberté, porté par des artistes débarqués des quatre coins du monde : Modigliani, Chagall, Soutine, Picasso, Foujita ou encore Dali et Miro.
Plus tard, le rayonnement artistique français viendra d’autres artistes d’origine immigrée comme Victor Vasarely, Yona Friedman, Oscar Rabine ou Roman Cieslewicz. Aujourd’hui les expressions sont multiples : photographie ou vidéo, œuvre d’art ou documentaire, performance ou art corporel, sculpture… Les artistes peuvent être immigrés comme Ghazel, Shen Yuan, Taysir Batniji, Hamid Debarrah, Bouchra Khalili, Santi Zegarra, Huang Yong Ping ou Rajak Ohanian. Ils sont aussi et de plus en plus souvent nés en France comme Kader Attia, Bruno Boudjelal, Malik Nejmi, Zineb Sedira, Mohamed Bourouissa, Melik Ohanian… Les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration offrent un espace unique pour découvrir plusieurs de ces créateur et en mesurer les « enjeux ».

De nouvelles générations pointent, aux trajectoires et modes d’expression divers : l’italo-franco-tunisienne Fae A.Djeraba, plasticienne et photographe, le franco israélien Joseph Dadoune, artiste pluridisciplinaire et adepte de la performance, la jeune franco tunisienne Nesrine Mouelhi dont les vidéos, dessins, installations interrogent le corps féminin, le Nantais Yassin Latrache, illustrateur et caricaturiste, la franco-belge de Bamako, Aïda Bruyère, plasticienne aux pratiques multiples,  la pakistanaise Sara Farid ou l’afghan Abdul Saboor, tous deux exilés en France et photojournalistes.

 

… au XXIè siècle

Face aux mouvements de populations qui traversent le monde et notamment le monde occidental, certains froncent les sourcils quand ils ne montrent pas le poing, d’autres font la charité caressant les nouveaux venus dans le sens du poil pour mieux les « domestiquer ». D’autres, enfin, optent et travaillent à l’échange, au partage, à l’invention et à la création. Les exilés du monde moderne comptent aussi des artistes, contraints de fuir leur pays, obligés de se faufiler dans les labyrinthes administratif et économique pour trouver de nouveaux espaces de création, de travail, d’expression, pour exercer leurs arts, partager les cultures dont ils sont porteurs, rencontrer l’autre et donner à leurs œuvres un cadre nouveau et peut-être un sens nouveau.

C’est justement pour répondre à ces nombreux besoins des artistes en exil - espaces de travail, soutien matériel, opportunité de bourses et de résidences, apprentissage du français, accompagnement administratif et si nécessaire thérapeutique – mais aussi pour participer de la création et de l’enrichissement de la cimaise et du piédestal que Judith Depaule et Ariel Cypel, fondent en janvier 2017 L’atelier des artistes en exil (AA-E - voir le site internet) qui réunit plus de 200 artistes originaires de 25 pays différents dans les champs des arts plastiques, des arts visuels, de l’architecture, peinture, photographie, mode, design, céramique mais aussi des arts de la scène ou de la littérature. « Parce que réfugié n’est pas un métier, que le rôle de l’art est celui de dire et de montrer ce qui dérange et de faire entendre la voix des opprimés, que c’est à travers la voix de ses artistes que les cultures des pays en péril peuvent continuer à se perpétuer, il est important que les artistes puissent continuer à exercer leur art » (site de l’AA-E).  Ainsi Carlos Lutangu sculpteur, congolais (RDC), Ahlam Jarban, graffeuse yémenite, Jérôme Baku, styliste congolais ou encore Kubra Khademi, plasticienne afghane… Les uns et les autres racontent leur pays ; disent l’exil ; pointent les stéréotypes laissés derrière eux et ceux auxquels ils sont désormais confrontés ; dénoncent les habits neufs du racisme et les vieilles guenilles du machisme ; interrogent les identités en mouvement ; la transition entre l’ailleurs et l’ici, l’hier et le demain, l’Autre et le même ; regardent leur passé sans savoir « ce que sera le futur » (Kubra Khademi).

 

Mustapha Harzoune, 2022