Culture et diversité

Quand la langue française en voit de toutes les couleurs

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Paris n'est pas une île déserte de Zeina Abirached, planche 7
Paris n'est pas une île déserte de Zeina Abirached, planche 7 © Zeina Abirached

Un peu d’étymologie

Selon Henriette Walter, sur 35 000 mots usuels de la langue française, 4 192 sont d’origine étrangère : 25 % viendraient de l’anglais, 16 % de l’italien, 13 % du germanique et, juste après, de l’arabe (entre 250 et 270 mots soit 6,5 %). Si, comme le fait Salah Guemriche dans son Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007), on y ajoute les quelque 150 mots d’origine turque ou persane, passés au français via la langue d’Al Mutanabi, alors avec les 391 mots recensés le pourcentage s’élève à 10 % abstraction faite des mots d’origine également arabe qui désignent les étoiles. Ainsi nos ancêtres ont beau être les Gaulois, sur le seul plan linguistique, les Sarrasins, Maures, Barbaresques et autres Mahométans ont peut-être davantage irrigué la langue nationale que les cousins, petits cousins et autres descendants de Vercingétorix…

N’y aurait-il pas un sens à tout cela ? Le sens qu’une société, tiraillée entre la tentation du repli sur soi et le désir d’ouverture à de nouveaux imaginaires, veut donner à son avenir. En ces temps où les identités sont « essentialisées », où la peur du grand remplacement est agitée, Henriette Walter, Salah Guemriche, Heinz Wismann ou Michael Edwards rappellent que le mouvement, les échanges, les compositions et les recompositions sont au cœur de toutes créations humaines. Ainsi les langues pures n’existent pas (pas davantage la langue française que la langue arabe, par ailleurs sacralisée…). Comme les cultures ou les identités. Toutes se valent dès lors qu’elles reconnaissent ce qu’elles doivent aux autres, à quel titre elles s’inscrivent dans l’histoire de l’humanité et qu’elles ne sont pas, une fois pour toutes, figées dans le marbre froid d’une histoire fantasmée.

 

Une langue vivante

À ces perspectives historiques ou scientifiques, on peut, plus simplement mais avec autant de force, ajouter le bon sens de l’écrivaine chinoise installée au Canada, Ying Chen : « Si on bloquait les courants - les frontières sont faites pour cela -, le monde serait trempé et pourri dans des eaux mortes ». Les langues voyagent, s’échangent, s’interpénètrent. Une langue qui n’emprunterait pas serait vouée à mourir.
Ce mouvement d’emprunt se poursuit aujourd’hui grâce à de jeunes auteurs français comme Faïza Guène ou Marc Alexandre Oho Bambe, des écrivains étrangers francophones ou grâce aux mystères de la création, au ras des pâquerettes ou du bitume, dans et par le génie et l’insouciance d’une jeunesse innovante qui entend entrer dans la carrière, bousculer les vieux cadres ou simplement exister, à son échelle, à hauteur d’hommes et de femmes donc. Entre les quatre murs d’une chambre, dans l’expérience collective de la fête et de la création, dans les cours de récréation et, nolens volens, des réseaux sociaux. Jean-Pierre Goudaillier, professeur de linguistique à la Sorbonne souligne que les "cités constituent actuellement les foyers les plus importants de création lexicale (…). Dans ces cités-creusets, ce français mâtiné d’exotisme, mosaïque d’emprunts à l’arabe, aux langues africaines, au tsigane… est aussi métissé que la population. Il en fait voir de toutes les couleurs au français académique. (…) La cité, tour de Babel créative ou lieu d’appauvrissement du français ? Les jeunes, loin d’être des "sauvageons", ont une inventivité lexicale et poétique très développée, selon les linguistes intervenant sur le terrain" (La Croix, 16 mars 2012).

Mustapha Harzoune, 2022