Economie et immigration

Quel est l’effet de l’immigration sur le marché du travail ?

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Affiche éditée par le Front national, années 1980 © Bibliothèque de documentation internationale contemporaine - MHC
Affiche éditée par le Front national, années 1980 © Bibliothèque de documentation internationale contemporaine - MHC

Au-delà des clichés

La thèse selon laquelle les immigrés "prennent le travail des Français" s’illustre dans un vieux slogan d’extrême droite pour qui "tant de chômeurs en France = tant d’immigrés en trop". Cette pensée mécaniste court encore les représentations, à l’image de ce commentaire du 16 octobre 2021 (lepoint.fr) : « Avec 3 millions de chômeurs, la France n'a évidemment pas besoin des immigrés. Ils seraient plus utiles dans leur pays, à travailler pour le développer ».

Ce cliché fait du marché du travail une combinaison d’additions et de soustractions, un jeu liquide de vases communicants. « Réduisons le niveau de l’offre de travail et le volume des chômeurs baissera automatiquement ! » Ici, l’immigration tient le rôle d’une variable d’ajustement. Demain - pourquoi pas ? – ce pourraient être les femmes ou les préretraités. La logique – ou l’idéologie – productrice de boucs émissaires ne manque pas d’imagination pour désigner des coupables.   

Comment dès lors expliquer que des secteurs économiques - nettoyage, bâtiment, métallurgie, artisanat, commerce de proximité, aide à la personne... - ont besoin d’une main d’œuvre étrangère, et ce même en période de chômage ? De ces emplois, peu qualifiés, mal rémunérés et pénibles, les « natifs » se détournent  (Rapport de la Dares, 2021). Travailleurs immigrés et natifs ne sont pas nécessairement substituables. Ils n’entrent pas en concurrence pour les mêmes postes. Mieux : en faisant baisser les tensions sur le marché du travail, les travailleurs immigrés contribuent à satisfaire les besoins économiques du pays.

Un marché dynamique : une influence complexe à établir

En matière d’immigration, il convient toujours de différencier. Ici, entre les niveaux d’éducation, de qualification, l’âge, le sexe, etc. Comme le marché du travail n’est pas homogène, il faut aussi discerner les activités vers lesquelles les immigrés peuvent se tourner pour exercer un emploi, distinguer les secteurs d’activités, les qualifications exigées, la localisation des emplois, différencier les emplois complémentaires - ceux qui n’entrent pas en concurrence avec ceux occupés par les « natifs » - et les emplois qui se substituent à ceux occupés par la main d’œuvre française, etc. Le marché du travail est une formidable machine, complexe, « segmentée » où l’influence de la main d’œuvre étrangère varie en fonction de ces nombreux critères.

A ceux-là, s’ajoutent le cadre administratif et politique ou la politique salariale : avec des salaires fixes, l’immigration peut augmenter le chômage, l’ajustement du marché se fera par les emplois crées ; si les salaires sont flexibles, l’immigration peut, dans un premier temps, induire une baisse des niveaux de rémunération des emplois peu qualifiés et provoquer une hausse des embauches, entrainant possiblement une hausse de la consommation, de nouvelles embauches pour satisfaire la demande et une hausse des salaires. Il convient aussi de différencier les étrangers à faible qualification et les étrangers qualifiés. Si l’arrivée de travailleurs immigrés peu qualifiés, peut, à court terme, conduire à une baisse de salaire des travailleurs peu qualifiés (y compris non-immigrés), elle peut induire une rareté des travailleurs natifs qualifiés permettant une augmentation de leur salaire.

Globalement, l’impact de l’immigration sur le marché du travail, que ce soit sur le chômage ou les salaires, reste limité. L’effet est plutôt négatif à court terme pour les travailleurs natifs en concurrence avec les travailleurs immigrés et plutôt positif, en fonction de leur qualification, pour les travailleurs natifs « complémentaires » (voir Marine de Talancé, maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée dans La Finance pour tous, 10 novembre 2021). Cette complémentarité explique que l’emploi d’une main d’œuvre étrangère n’a pas d’effet voir même, selon certaines études économiques (en savoir plus), un impact sur le salaire moyen et l'emploi des travailleurs autochtones légèrement positif. Les conséquences sont  donc variables : réduction des salaires des travailleurs autochtones concurrents et augmentation des salaires des travailleurs complémentaires. Mais ces ajustements, dans la distribution des compétences et la structure des salaires, doivent intégrer un facteur temps. Rien donc d’automatique dans le temps et dans l’espace.

Consommateurs & entrepreneurs

Autre élément : du point de vue de la demande, les immigrés sont aussi des consommateurs qui contribuent à grossir la demande globale, à soutenir l’activité et à renforcer la demande de travail des entreprises. En 2011, les économistes Javier Ortega et Grégory Verdugo montraient que la hausse de 10 % de l’immigration entre 1962 et 1999 avait permis une hausse de 3 % des revenus de la population autochtone.

La mondialisation des économies et la multiplication des échanges, mais aussi la croissance des migrations climatiques inscriront les questions migratoires au cœur des débats publics. Ces bouleversements nécessiteront de nouvelles approches et études. D’autant, qu’historiquement, crises économiques (ou… sanitaires) et xénophobie font bon ménage. Comme les leçons du passé semblent sans effets, il n’est pas surprenant dès lors, en cette nouvelle période de crise et de chômage, que l’opinion publique, les politiques publiques, le personnel politique et les milieux médiatiques incitent, ex nihilo, à restreindre l’accès de la main-d’œuvre étrangère au marché du travail. « Leur logique repose sur une vision malthusienne qui présuppose un volume d’emplois fixe » écrivent les économistes Anthony Edo et Camilo Umana Dajud.

Cette logique ne correspond pas au fonctionnement du marché du travail. Elle fait l’impasse sur l’impact de l’immigration sur la consommation et donc sur l’activité économique. Elle oublie ou néglige l’activité entrepreneuriale de l’immigration. En tant que créateurs d’entreprises, les immigrés sont aussi des créateurs d’emplois. Particulièrement présent dans l’hôtellerie et le secteur des cafés-restaurants, une étude établie par Legalstart en 2021 à partir de sa base de données (plus de 200 000 entrepreneurs), montre que les étrangers participent à 15% dans la création d’entreprises en France, dont 11% de non-européens.

Mustapha Harzoune, 2022

Source :

  • Javier Ortega and Gregory Verdugo, « Immigration and the occupational choice of natives: a factor proportions approach » , Direction générale des études et des relations internationales, Juillet 2011