L’immigration des Suisses en France
La colonie suisse en France est l’une des colonies les plus anciennement implantées. Il s’agit d’une immigration qui, tout en étant constamment présente, n’a eu de cesse de se diversifier allant du mercenariat à la colonie agricole en passant par le commerce ou la banque.
Une présence ancienne et variée
Le mercenariat
L’une des premières formes d’immigration suisse connue correspond à l’image d’Epinal des terribles mercenaires suisses qui furent défaits par François Ier à Marignan en 1515.
En fait, on retrouve les premières traces de ce recrutement de soldats par les puissances étrangères à partir du XIIe siècle. Et, dès 1453, une alliance franco-suisse se met en place. Puis, en 1497, Charles VIII crée la compagnie des Cent-Suisses de la garde, première unité helvétique permanente, sorte de garde rapprochée du roi (ils payeront cher leur fidélité au roi de France lors de l’épisode des Tuileries, le 10 août 1792).
Dans un pays où la pauvreté et le chômage sont importants, le mercenariat connaît un tel succès que certains cantons suisses interdisent à leurs concitoyens de s’enrôler sans autorisation. Mais ces interdictions se révèlent être vaines puisque, au XVIe siècle, le tiers d’une génération d’hommes s’engage. Une Garde suisse existe également à Avignon, dès le XVIe, pour protéger ce petit morceau de terre pontificale. Après une réforme en 1671, les régiments suisses restèrent au service du roi de France.
Repeupler les zones ravagées par la guerre de Trente ans
C’est une immigration encore peu connue mais qui, pourtant, a existé. Craignant le surpeuplement, la Confédération a envoyé certains concitoyens repeupler des zones désertes ou détruites par la guerre. Ainsi, les Suisses ont participé en nombre au repeuplement des provinces ravagées par la guerre de Trente ans. On estime que les régions d’Alsace et de Franche-Comté ont accueilli 15 000 à 20 000 personnes entre 1660 et 1740. Il s’agissait surtout d’artisans ou d’agriculteurs qui venaient de Suisse allemande.
Un exemple de colonie suisse anciennement implantée : celle de Marseille
Outre le mercenariat, les Helvètes sont également présents en France sous des formes beaucoup plus pacifiques, telles que le négoce ou l’artisanat, dans de grands centres urbains. Ainsi, la présence suisse à Marseille est recensée dès la fin du XVIe siècle. Le recensement de 1685 indique que 32 Suisses vivent dans la cité phocéenne. Même s’ils sont peu nombreux, ils y sont connus pour leur rôle important dans la formation de la communauté protestante de la ville. Au XIXe siècle, les effectifs sont certes faibles par rapport à d’autres communautés étrangères (de 15 000 à 20 000 Suisses entre 1876 et 1931) mais on peut noter une particularité : c’est alors une migration comptant un pourcentage étonnamment élevé de femmes seules, travaillant surtout dans le secteur des services à la personne (domestiques, dames de compagnie).
Marchands et Banquiers
Dès le XIVe siècle, l’immigration marchande et financière suisse vers la France est importante, particulièrement en Avignon. Mais c’est surtout à partir du XVIIIe siècle que la migration des Suisses vers la France évolue. En effet, le mercenariat perd en effectifs, notamment à cause de la création d’armées permanentes. Se détache alors une population de riches marchands et banquiers qui vont profiter des réseaux mis en place dans toute l’Europe depuis le Moyen Age, notamment par les banques genevoises, pour se faire une place (et souvent un nom) dans la capitale française.
Le plus connu d’entre eux est Jacques Necker qui, après une formation dans une banque parisienne, se rapproche du pouvoir. Ainsi, en 1777, c’est un Genevois, de religion réformée, professionnel de la finance, qui devient directeur du Trésor puis directeur général des Finances. Etant étranger (et protestant), il ne sera jamais ministre mais en aura tout le pouvoir jusqu’à son renvoi en 1789. Germaine de Staël, sa fille, s’illustra en tant que femme de lettre.
Les Suisses dans la tourmente révolutionnaire
Tantôt vus comme les sbires de la monarchie, parfois comme des martyrs, les Suisses participèrent à la Révolution française de façon individuelle.
Il a déjà été fait mention de la Garde suisse qui a protégé les Tuileries, après que le roi ait trouvé refuge à l’Assemblée nationale, et s’y est faite massacrée. D’autres Suisses sont morts les armes à la main, à l’exemple des gardes défendant la Bastille, le 14 juillet 1789. Enfin, des mercenaires helvétiques ont connu un destin tout aussi tragique mais en étant, cette fois, du côté de la liberté. Ce sont les Gardes suisses des régiments de Châteauvieux, près de Nancy, qui osèrent réclamer la paye qui leur était due. La répression fut féroce et les pendaisons nombreuses.
Autre Suisse qui a marqué l’époque, Jean-Paul Marat, un des orateurs les plus célèbres du club des Jacobins. Né dans la commune de Boudry, dans le canton de Neuchâtel, devenu médecin en Grande-Bretagne, il s’installe à Paris en 1777. Lorsque la Révolution française éclate il est journaliste et devient l’un des membres les plus actifs du club des Jacobins. Ses positions extrêmes concernant la Gironde furent à l’origine de sa perte. Assassiné par Charlotte Corday en 1793, il devient l’objet d’un véritable culte.
Dans le camp de la réaction, cette fois, s’est illustré Jacques Mallet du Pan, un Genevois, qui fut l’un des plus grands penseurs de la Contre révolution. Il est envoyé en mission par Louis XVI en 1792 auprès des émigrés de Coblence et du roi de Prusse.
Migrations urbaines ou agricoles : un visage inconnu de l’immigration helvétique
Loin des images populaires actuelles la Suisse, au XIXe siècle, connaît un fort accroissement démographique et une paupérisation importante. En effet, l’économie alpine et les débuts de l’industrialisation ne peuvent absorber le trop plein de main d’œuvre. L’émigration semble alors la seule solution. Plus de 50 000 Suisses partent pour l’Outre-Mer et 68 000, en 1850, choisissent de rester en Europe. En 1900, 170 000 Helvètes émigrent dont 87 000 en France. On les retrouve dans différentes régions, notamment en Haute-Marne, où ils s’installèrent comme fromagers, domestiques ou fermiers. Des colonies agricoles furent également établies dans le Sud-Ouest mais le projet échoua rapidement. Autre grand point d’arrivée, Paris. En effet, la capitale parisienne accueille une grande partie des émigrés suisses en France. Toutes les classes sociales sont représentées mais on relève un nombre important de domestiques. Une des caractéristiques de cette émigration, c’est qu’elle est constituée en majorité de femmes qui arrivent seules à Paris. A tel point que, selon les recensements du département de la Seine en 1891, les Suissesses sont l’une des populations féminines étrangères les plus nombreuses dans la capitale française. En majorité issues des milieux populaires, elles viennent à Paris dans l’espoir de trouver une place de domestique et peut-être une liberté d’action qu’elles n’avaient pas dans leurs cantons.
Malgré une bonne réputation et un talent à se fondre dans la population, les Suisses semblent avoir à cœur de rester en contact étroit avec leurs concitoyens expatriés. En effet, que cela soit à Paris ou à Marseille, on constate très tôt la mise en place d’associations sportives, culturelles ou de bienfaisance. Par exemple, le Home Suisse, organisme chargé d’accueillir les jeunes Suissesses en détresse, de les placer comme domestique ou de les renvoyer dans leur pays natal. Cette institution est présente non seulement à Paris ou à Marseille mais également dans certaines autres villes européenne (comme Vienne) ou même à New York.
Dossier réalisé par Anne Rothenbühler, professeur d’Histoire-géographie, doctorante à l’université Paris, Panthéon-Sorbonne.