Douilles chinoises
Le Musée a acquis 37 douilles d'obus gravées par des travailleurs chinois réquisitionnés pendant la Première guerre mondiale. Des objets qui racontent une histoire encore peu connue.
D'armes de guerre à objets décoratifs
Des tigres, de nombreux dragons, des fleurs de lotus et de chrysanthème, des pagodes... Les 37 douilles d'obus gravées qui viennent de rejoindre les collections du Musée sont d'un exotisme certain. Ces douilles gravées et sculptées n'ont rien de rare : contraints à l'inaction dans les tranchées, les soldats de la Première guerre mondiale ont dû s'occuper. Et la matière première ne manquait pas : fin 1916, plus de 60 millions d'obus auront été tirés ! Pas étonnant donc que les vide-greniers du nord de la France regorgent de cet artisanat de tranchée.
Le laiton est gravé ou repoussé, les douilles deviennent des vases ou des coupes. Si le résultat est souvent grossier, certains objets présentent de vraies qualités esthétiques. C'est le cas pour plusieurs des douilles chinoises données par un collectionneur. « La restauratrice en métal qui les a remises en état était très enthousiaste, confie Marie-Odile Klipfel régisseuse des collections au Musée. Il est émouvant de voir comment des armes de guerre ont pu donner naissance à des objets aussi décoratifs. »
Des témoins d'une histoire invisibilisée : l'embauche des travailleurs chinois en France pendant la Première guerre mondiale
Ces 37 douilles n'ont pas été faites dans les tranchées, mais presque. Elles illustrent un épisode relativement peu connu de la Grande guerre, l'embauche de 140 000 travailleurs chinois en France. Dès 1916, pour faire tourner les usines d'armement, les sociétés de transports et les mines, les femmes et les réfugiés ne suffisent plus. Allié de la France et de l'Angleterre, le gouvernement chinois accepte donc l'envoi de ces travailleurs, à défaut de soldats. Affectés à des chantiers de terrassement à l’arrière et au front, de nombreux Chinois risqueront néanmoins leur vie. L'armée française emploie 40 000 de ces ouvriers, les autres étant sous l'autorité des Britanniques.
Tout comme les travailleurs coloniaux, les Chinois vivent sous contrôle. Ils sont soumis à une surveillance rigoureuse (contrôle postal, obligation de loger dans des camps) et à des conditions de vie précaires. À la fin de la guerre, ils écoperont des missions ingrates et dangereuses, comme enterrer les cadavres oubliés et éliminer les munitions qui n'ont pas explosé. Plus de 2 500 d'entre eux auraient trouvé la mort pendant le conflit, estiment les historiens. Le collectionneur qui a donné ces douilles a également cédé des cartes postales et des documents sur le même sujet. « Ces acquisitions viennent compléter les collections du Musée, car nous n'avions rien qui évoque cette migration », poursuit Marie-Odile Klipfel.
Une partie de ces douilles sera présentée dans l'exposition consacrée cet automne aux migrations asiatiques. D'autres trouveront leur place dans la nouvelle exposition permanente, qui ouvre en juin. Articulée autour de dates clefs, elle racontera notamment pour 1917 la participation des étrangers et des ressortissants des colonies à la Grande guerre.