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Histoire de l’Algérie à la période coloniale 1830-1962

C’est une somme indispensable. Si l’historiographie des dernières années et les copieuses livraisons éditoriales en cette année du cinquantenaire de la fin des accords d’Évian ont fourni de nombreux ouvrages sur la guerre d’indépendance, aucun - depuis les recherches pionnières de Charles-André Julien puis Charles-Robert Ageron et les travaux de Benjamin Stora - ne proposait de la replacer dans le temps long de la période coloniale. C’est désormais chose faite avec cette Histoire de l’Algérie à la période coloniale 1830-1962. Cette vaste fresque synthétique réunit, en quatre grandes séquences chronologiques, plus d’une centaine d’articles, rédigés par soixante-neuf auteurs.

Deux maisons d’édition, française et algérienne, La Découverte et Barzakh, se sont associées pour publier conjointement et simultanément cet immense travail. Au-delà du symbole, l’ouvrage permet un véritable désenclavement de l’écriture de l’histoire et parvient à échapper à la bipolarisation franco-algérienne. Il prend en compte les dernières avancées en termes de concepts et méthodologie des historiographies française et algérienne mais aussi internationale, en particulier anglo-saxonne. L’ambition est forte : "proposer une histoire partagée et critique de l’Algérie à la période coloniale qui tienne compte des interrogations des sociétés actuelles" (p.10) en questionnant "la façon dont s’est nouée l’histoire des deux pays et de leurs populations, dans des rapports complexes de domination et de violence, mais aussi d’échanges" (p.12).

Les deux espaces, français métropolitain et algérien, sont en effet étudiés, mais également dans une démarche d’histoire plus globale, les échelles méditerranéenne, moyen-orientale et même mondiale. Par exemple, les articles de Samya El-Mechat, "Les pays arabes et l’indépendance algérienne" et de Jeffrey James Byrne, "La guerre d’Algérie, facteur de changement du système international", éclairent autrement le conflit colonial.
Justement, la période de la guerre d’indépendance occupe logiquement une part importante du volume, en partant des racines, notamment la rupture que représentent les massacres dans le Nord-Constantinois le 8 mai 1945. Les contributions de jeunes chercheurs, comme Linda Amiri sur la Fédération de France du FLN, Muriel Cohen sur les bidonvilles de Nanterre ou Marie Chominot sur les photoreporters, représentent une actualisation et un apport précieux.

Avant la guerre d’indépendance, les auteurs nous offrent un panorama renouvelé de l’Algérie coloniale : de la conquête et ses causes (Hélène Blais), ses nombreux acteurs, ses violences (Benjamin Brower), ses spoliations (Isabelle Grangaud) non sans résistances (Vincent Joly, Mohamed Brahim Salhi) jusqu’à l’imposition de l’ordre colonial.

Divers domaines sont abordés : politiques et militaires bien sûr, mais également sociaux, économiques, culturels et religieux. Ainsi, l’architecte paysagiste Ghanem Laribi et l’écrivain et éditeur Sofiane Hadjadj montrent comment le magnifique Jardin d’essai du Hamma à Alger fut pensé comme une mise en scène de l’appropriation et de la réussite coloniales. Autre exemple, Raberh Achi, dans un article consacré à"L’Algérie coloniale ou la confrontation inaugurale de l’Algérie avec l’islam", met en évidence l’exception coloniale algérienne de l’application de la laïcité et l’émergence d’un droit des cultes spécifique. De nombreux autres aspects méconnus sont traités tels la place des femmes, le monde médical, la question du pétrole… Des chronologies, cartes et bibliographies constituent des outils appréciables pour le lecteur.

Au final, le défi est relevé : proposer au plus grand nombre une histoire complexe, critique, multiscalaire et actualisée de l’Algérie coloniale, de ces 132 années - de la conquête à l’indépendance - qui ont profondément façonné les deux pays.

Peggy Derder

Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault (sous la direction de), Histoire de l’Algérie à la période coloniale 1830-1962, coéditions La Découverte – Barzakh, 2012, 720 pages (28,50 €).