Histoires croisées. De trois artistes, deux pays, un engagement associatif…

« Depuis 25 ans, Elele travaille activement à faire connaître et reconnaître la culture de la Turquie avec ses richesses, ses paradoxes, sa diversité.

C’est autant d’années de vigilance afin que la culture de « l’autre » ne soit pas cette rive opposée, exotique et minorisée au seul folklore, mais un des éléments d’une culture nouvelle où se croisent de façon complémentaire, égale, la richesse des patrimoines culturels pour s’inscrire avec dynamisme dans l’histoire contemporaine.

Organiser une programmation riche et dense à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à l’occasion de la « Saison de la Turquie en France » donne la possibilité à l’association Elele d’afficher une volonté commune pour donner à connaître, à mieux comprendre la richesse de ce qui s’entremêle de façon inédite et unique.

Cette exposition d’art contemporain est une invitation lancée en premier lieu à trois artistes mais plus largement aux publics pour participer à la construction d’une culture enrichie d’héritages divers.

Pour notre part, nous sommes partis du thème qui nous lie à la CNHI c'est à dire celui de l’immigration. Il s’agissait de contribuer à restituer des histoires, à engranger de la mémoire.

Handan BÖRÜTEÇENE, Nil YALTER, Ahmet SEL se sont immédiatement imposés. Témoigner, transmettre, rechercher, raconter, de la réalité créer l’imaginaire, de l’imaginaire faire naître de nouvelles réalités est au cœur de leur langage artistique et de nos engagements militants.

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C'est un dur métier que l'exil III © Nil Yalter
C'est un dur métier que l'exil III © Nil Yalter
Nil YALTER a engrangé des années durant et fabriqué de la « matière » à propos des immigrés turcs de France, parlé des forces et des fragilités des femmes, réfléchi sur les stigmates de l’exil. Pionnière du multimédia, elle entremêle les disciplines. Faisant se répondre visages, voix, récits, elle les replace au cœur d’un vocabulaire artistique où les réminiscences des anciennes calligraphies, les formes héritées des arts ottomans et turcs croisent les traits et les langages les plus modernes pour nous proposer une oeuvre tout en mouvement.


 

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Ahmet ŞİMŞEK, 64 ans, Kete ŞİMŞEK, Vichy (Allier), 2007 © Ahmet Sel
Ahmet ŞİMŞEK, 64 ans, Kete ŞİMŞEK, Vichy (Allier), 2007 © Ahmet Sel
Ahmet SEL, a arpenté la France deux années durant à la demande d’Elele pour constituer un album photographique qui deviendrait une parcelle de mémoire de l’immigration turque de France, dans la lignée de son travail sur Kaboul et sur les russes.
Sa démarche artistique du « portrait posé » est un parti pris qui permet de conserver des traces sensibles sur ces familles. Le témoignage d’un moment figé s’accompagne de la charge émotionnelle des histoires individuelles.
En faisant poser ces femmes et ces hommes dans leur propre cadre, le photographe restitue des parcours de vie, raconte des « unicités », fait surgir une galerie humaine où le passé influence le présent, où la France contribue à façonner des destins qui se croyaient amarrés sur les terres originelles, celles où ils étaient nés, mais où ils ne s’enracineraient plus forcément.

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Handan Börüteçene, Conduis toi à moi © Ibrahim Ögretmen
Handan Börüteçene, Conduis toi à moi © Ibrahim Ögretmen
Handan BÖRÜTEÇENE a toujours tissé des liens forts avec la France où elle a vécu plusieurs années. Son attachement personnel au palais de la porte Dorée et ses transformations du palais colonial, au Musée des Arts Africains et Océaniens pour devenir Cité nationale de l’histoire de l’immigration, est l’élément moteur de sa proposition aujourd’hui. A Istanbul, à Cholet et à Venise ses dernières œuvres partaient toujours de l’histoire et de la mémoire d’un lieu ou d’un événement ou des deux à la fois.

Handan Börüteçene aime le souvenir, elle sonde le récit des pierres. Elle interroge les histoires de déchirements mais parle d’enracinement aussi. Telle une archéologue, elle interroge les traces du passé, telle une journaliste elle en cherche les témoins. Son projet partait de l’histoire d’exil d’une œuvre entre deux musées pour finir par une introspection sur ses propres allers-retours. L’idée de départ, comme les évolutions et les épures qu’elle lui a fait vivre, font l’écho d’une certaine façon à l’engagement d’Elele, dans sa nécessaire créativité sans cesse renouvelée, et façonnée par la participation du public.

Puisse ces trois œuvres permettre au visiteur de découvrir ou de mieux connaître l’immigration originaire de Turquie mais surtout de lui rappeler qu’il s’agit de paysages humains, contrastés, parfois emprunts de nostalgie, mobiles et toujours sensibles, désormais partie intégrante de la « culture française ». »

Gaye Petek, directrice de l'association Elele