À l’Est, du nouveau. Après la percée, très médiatisée, du cinéma roumain (avec notamment 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, primé à Cannes, et aussi La mort de Dante Lazarescu de Cristi Puiu (2006), ou 12 h 08 à l’est de Bucarest de Corneliou Parumboiu (2006), des réalisations plus modestes viennent attester de la vitalité du cinéma des pays émergents dans la mosaïque des Balkans. Ainsi, révélé par le festival de Berlin, nous parvient de Croatie, part de l’ancienne Yougoslavie ayant accédé à la souveraineté et entrant dans le concert des nations européennes, un film pudique où l’émotion perce dans le non-dit des sentiments, l’économie de paroles parfois proche du mutisme, la lente maturation des actes. Un monde semble les séparer, et pourtant il n’y a pas très loin de la petite ville de Bosnie dont sont originaires les protagonistes, à savoir un père et son fils, à Zagreb, où doivent se dérouler les éliminatoires des jeunes candidats postulant à un rôle dans un film allemand qui retracera un épisode dramatique de la guerre récente contre la Serbie. Ibro, le père, et Armin, son fils unique de 14 ans, ont misé de gros espoirs dans cette hypothétique aventure et pensent avoir quelques chances de leur côté pour s’évader enfin de leur précaire condition sociale. Ils ne sont pas au bout de leurs surprises et de leurs déconvenues. Ils vont devoir affronter l’inconnu sous toutes ses formes, ce qui ne devrait pas entamer leur détermination, soudée par une affection très intériorisée sous leur apparence trapue et timide, presque rude. Ils ont déjà subi les avanies du voyage dans un bus vétuste qui les fait arriver en retard au rendez- vous fixé par le casting de l’équipe de tournage. Qu’importe le dépassement des délais et la fin de non-recevoir qu’on leur oppose, ils vont s’incruster dans l’hôtel où on les a tout de même accueillis. Ils espèrent même compenser leur handicap par une exhibition des talents de Armin à l’accordéon. Ils commencent, sinon à convaincre, du moins à intriguer quand, nouvelle catastrophe, due sans doute à la pression et au stress, Armin fait une crise d’épilepsie en pleine démonstration. Ce pourrait être paradoxalement le détail pathétique qui sauve. N’a-t-on pas là une preuve des effets collatéraux des derniers conflits ? Aiman pourrait être le héros d’un docu-fiction envisagé par le réalisateur allemand. Contre toute attente, le père et le fils, dans un sursaut de dignité et une mutuelle affection enfin manifeste, vont refuser la proposition opportuniste et dégradante. Adieu le froid confort des hôtels et les MacDo faciles, si c’est au prix d’une instrumentalisation de leurs douleurs et de leur conscience qui de toute façon broierait leurs rêves ! Dégagés de la gangue des habitudes et des fausses illusions, les sentiments paternels et filiaux en sortent régénérés. C’est aussi peu spectaculaire que possible et cela met néanmoins à jour des trésors de sentiments humains. Ognjen Svilicic n’est pas un débutant (Armin est son cinquième film) mais il mérite d’accéder à une renommée qui lui a jusqu’ici fait défaut.