Chronique livres

Chiens de la casse

de Mouss Benia, éd Hachette Littératures, 2007, 229 pages, 16 euros

Une tendance semble gagner les écrivains, qu’ils soient débutants ou plus chevronnés : la “désespérite”. Des “desperate house writers”. Dès lors qu’il s’agit de rendre compte du parcours social d’un jeune français issu des quartiers, un brin basané ou franchement noir, la voie littéraire choisie débouche fatalement sur une impasse. Cette littérature désespérée et désespérante était illustrée l’an passé par les livres de Karim Amellal (Cités à comparaître) et d’Ahmed Djouder, (Désintégration). Le propos finit par être convenu, les existences cousues de fil blanc et l’histoire, plus ou moins crédible, sombre souvent dans des épisodes et des chutes artificiels. Le roman n’est pas un bréviaire. Si l’écrivain s’inspire désormais de faits de société et moins de faits divers, n’est pas Dostoïevski qui veut. Substance, densité, vision, complexité, surprise, intériorité...passent à la trappe. Pourtant, cela n’exclut pas certaines qualités et traduit, même maladroitement, le fait qu’une jeunesse ne demande qu’à vivre. Prenons les deux romans de Leïla Marouane et de Mouss Benia. La première, auteure algérienne confirmée et plusieurs fois primée, dresse le portrait d’un homme de quarante ans qui a parfaitement réussi. Banquier de son état, Mohamed vit toujours chez sa possessive maman. Notre richissime quadra, fatigué de vivre dans le populaire et métèque Saint-Ouen, décide de déménager pour le luxueux et luxurieux Saint-Germain des Prés. Mais, ballotté “entre deux cultures, et ligoté par la religion”, selon la présentation de l’éditeur, l’expérience se terminera mal. Les premières pages du roman sont riches de promesses. Mohamed, désireux d’assouvir ses désirs et ses fantasmes, se révèle dans un premier temps réellement empêtré dans ses contradictions. Il est finalement peu question d’islam ici – le titre, racoleur ou commercial, pourrait tromper –, mais des persécutions d’une mère, dominatrice et castratrice, “louve qui ingère ses petits”, et des velléités de changements d’un individu qui butent sur les rigidités sociales et les murs des ghettos de riches. Leïla Marouane parvient à faire sentir la fragilité du personnage, ses tourments internes. La métamorphose de Mohamed s’opère sous tension, et le lecteur lui-même commence à être sur le gril. L’ouvrage ensuite ne tient cependant plus ses promesses. Le récit s’emberlificote entre réalité et fiction, raison et folie, règlements de compte inutiles au sein du microcosme littéraire algérien en exil (via le personnage de Loubna Minbar, double de l’auteur), fantasmes sexuels inassouvis, consommation d’alcool à gogo, injections ad libitum de Stilnox et autres Lexomil... pour se terminer par un échec improbable, auquel le lecteur, du moins le chroniqueur, ne comprend pas grand-chose... Mouss Benia signe, lui, son deuxième roman. Récit construit en deux temps : tout d’abord l’histoire qui va conduire le jeune Bouabdellah Benhadji, alias Bob, en prison ; puis, à sa sortie, ses tentatives sincères pour rentrer dans le rang. Sincères, mais infructueuses. L’échec, là aussi, est au bout de la course. Dans Chiens de la casse, Mouss Benia décrit le quotidien de Bob : la cité, les parents, l’absence de perspective, les combines, les arnaques, le deal de shit ou de cocaïne, le goût pour l’argent facile, les rêves et les principes de réalité, transmis non plus par les parents mais par ses nouveaux tuteurs – les séries télévisées et les fréquentations, dangereuses parfois. L’auteur esquisse le parcours des générations, depuis le militantisme citoyen du “Touche pas à mon pote” jusqu’à l’incrédulité et la disponibilité vis-à-vis d’un islam entreprenant, que l’on devine ici prêt à occuper le moindre espace vacant et la plus petite parcelle de conscience fragilisée. Si l’on peut déplorer un laïus anti-scolaire, l’intention de l’auteur est peut-être au contraire, de le dénoncer. De même, certains rappeurs, qui envoient “les petits” au “casse-pipe”, en prennent pour leur grade. Le ton est plutôt anti-clérical, la djellaba remplaçant ici la calotte. Avec son pote Alain, Bob monte une arnaque pour soutirer un ticket gagnant du Millionnaire à un voisin. Bien sûr, le coup foireux foire, et Bob se retrouve en prison pour dix-huit mois. Cette première partie est la plus réussie. Libéré, Bob essaye de s’en sortir. Il veut “apprendre à conjuguer la vie au futur”. En vain. Il va terminer sa route sur ce qui devait être un gros coup. La seconde partie est peu convaincante, un brin caricaturale. Ce qui sauve le livre, c’est le ton du récit. Point de faux-semblants langagiers ici, point de larmes ou de grandes envolées agressives. Ce sont aussi les dialogues entre Bob et Fodé, son copain de cellule. Le récit de Bob est entrecoupé des commentaires de Fodé, savoureux et empreints d’une sagesse aux accents africains.