Madame Esther (Ariane Jacquot) “rapatriée d’Algérie”, Juive oranaise au verbe haut, vit recluse dans son petit appartement de Toulon. Corpulente et handicapée, elle n’a guère d’autonomie. Heureusement, son fils Élie, médecin hospitalier, a pu mettre en place un système d’assistance efficace. Les choses vont se compliquer, car il doit s’absenter plusieurs jours et il faut adjoindre à l’infirmière qui administre les soins quotidiens une femme de garde, présente 24 heures sur 24 pour les travaux ménagers, la toilette, les déplacements, la compagnie... La dame a un fichu caractère et n’est pas prête à accepter n’importe qui. Elle se brouille avec la première recrue. Sélima (Sabrina Ben Abdallah), la jeune infirmière qui n’a pas eu trop de mal à se faire accepter, a une proposition insolite : demander à sa maman, très disponible, de postuler. Halima (Zohra Mouffok) semble avoir le même âge, le même tempérament, les mêmes origines que l’invalide. Hélas, et la différence n’est pas mince – pas la même religion. Bien qu’émancipée et foncièrement laïque, Sélima a toujours vécu avec beaucoup de discrétion et su préserver l’incognito de sa vie sentimentale. Il est par ailleurs conforme à la déontologie de sa profession qu’elle ne choisisse pas ses patientes en fonction de leur religion. C’est la première fois qu’elle prend le risque de heurter l’opinion publique communautaire. Sa mère va aller vivre sous le toit d’une Juive, lui prodiguer des soins intimes, en tirer profit et utiliser le pécule amassé pour financer le pèlerinage à La Mecque dont elle et son mari ont toujours rêvé ! De quoi déchaîner les ragots, d’autant que par ailleurs la situation est tendue. Nous sommes dans le courant de l’été 2002, en pleine attaque israélienne contre le Hezbollah libanais. Chaque soir, l’écran de télé projette dans chaque foyer des images intolérables et polémiques. De part et d’autre se crée un climat délirant d’identification. On passe facilement de la crispation à l’invective, puis au repli et au rejet. Malgré leur connivence et leur bonne humeur communicative, qui donnaient à leur début de cohabitation une capacité à s’affranchir des préjugés, les événements du lointain Orient vont s’immiscer dans le présent proche. Situation un peu convenue et prévisible, dira-t-on, comme la place optimiste (euphorique) laissée au dénouement. Mais tout est dans la façon chaleureuse, dans la minutie des détails avec lesquels Philippe Faucon, auteur par ailleurs des excellents Samia (voir H&M n° 1230) et La Trahison (voir H&M n° 1260), dirige ses comédiennes non-professionnelles et, avec sa coscénariste Yasmina Nini, joue les cartes du conte moral et d’un humanisme fédérateur, réactivé par les femmes. On se laisse ainsi bercer par l’illusion que “dans la vie” les choses pourraient se passer ainsi. C’est-à-dire autrement qu’elles ne se passent.