Une femme d’origine étrangère aujourd’hui en France est-elle plus exposée aux discriminations directes ou indirectes que les autres ?

La revue fait le point sur la problématique de la double discrimination qui prolonge et complète le champ propre aux discriminations raciales. L’enjeu est d’abord de l’ordre de la connaissance. Les travaux de recherche, qui vont croissant sur ces phénomènes à la fois sexistes et racistes, s’exposent peu aux approches pluridisciplinaires ou européennes. En France, pourtant, cette production des savoirs continue d’ajuster les diagnostics des professionnels et irrigue les actions d’information et de prévention portées par les services publics ou les associations. Ces organismes interviennent aujourd’hui en réseau dans le domaine croisé des droits des femmes, des droits des étrangers et de la lutte contre le racisme, tout en apportant leurs connaissances des réalités de terrain où les logiques ethnicisées et sexuées se renforcent, se superposent, s’interpénètrent.

Néanmoins, ces deux leviers n’ont pas encore réussi à avoir des répercussions notables dans le domaine politique ou juridique qui est essentiel aux acteurs spécialisés. Ce dossier nous rappelle que l’enjeu est arrivé sur l’agenda français des politiques publiques par la voie de Bruxelles, à la faveur des directives européennes “anti-discrimination” en 2000. Seul le rapport de la Commission européenne en 2007 aborde le thème des discriminations multiples. Mais le contexte actuel ne se prête pas à une adaptation française. Le dossier montre que le dispositif juridique pâtit en France d’une approche monocritère extrêmement contraignante : pour déposer leur plainte, les femmes d’origine étrangère, toutes nationalités confondues, doivent arbitrairement choisir entre sexisme et racisme pour qualifier les discriminations qu’elles subissent. Faute de dispositifs adéquats, la France a pris du retard, contrairement à la Grande-Bretagne ou à la Suède qui font figure de pionniers en Europe.

Cette “double peine” vécue par des femmes d’origine étrangère dans notre société ne peut suffire à comprendre toutes les situations de discrimination qu’elles subissent. En période de crise, quand la “préférence nationale” reprend le dessus pour justifier des concurrences illégales, le dossier montre qu’une autre forme de différenciation tend à s’affirmer. La logique sociale accentue la vulnérabilité des femmes : elles sont assignées à résidence dans les quartiers populaires, en situation d’exclusion ou de fragilité sociale, et souvent en charge de familles monoparentales. La question est donc aujourd’hui d’ouvrir un troisième front associant genre, origine et classe pour prendre en compte cette “double peine” devenue triple et faire avancer le double enjeu de connaissance et de reconnaissance politique.

’illustration du dossier prend le contre-pied de la discrimination multiple en présentant des portraits de femmes d’origine étrangère qui ont créé des activités économiques ou culturelles par la force de leur énergie et de leur conviction personnelle. La rédaction remercie ces femmes de nous avoir ouvert leurs portes pour ce petit reportage.